UB 40, fin 1980
Lorsque j'interviewai le groupe, tous les hit-parades gardaient encore la trace de l’extraordinaire « Food (for though) » sur lequel la France avait dansé tout l'été.
Avec leur premier album, "Signing off", UB.40 viennent de nous prouver qu'ils ne sont ni un "coup", ni une usine à tubes, mais bel et bien une valeur sure. Ce LP, qui était déjà disque d’or en Angleterre rien qu'avec les précommandes, vient d’obtenir la même distinction dans notre pays... Il faut noter que c'est le premier groupe ayant signé sur un label indépendant (Graduate) à obtenir un tel succès.
Pour fêter cette promotion, U B 40 était au Palace pour un concert dont on se souviendra longtemps. Déjà, lors de leur premier passage aux Bains-Douches en juillet dernier (1980), il n’y avait plus un carreau de faïence de libre... Les spectateurs du balcon surplombaient non pas une foule normale, mais une véritable MER de danseurs ressemblant a celle que l’on peut voir lors des soirées disco les plus réussies de l’endroit. Un concert sans faille, précis, parfait d’un bout à l'autre... Après le spectacle, nous nous sommes faufilés en coulisses pour tenter d'arracher quelques propos aux héros de la soirée.
- On vous connaît encore mal. Que faisiez-vous avant de former le groupe ?
- On pointait au chômage ! Le noyau était constitué d'Ali (Campbell, chanteur et guitariste), Jimmy (Brown, batteur) et moi c'est Earl Falconer, le bassiste, qui parle). On a commencé à recruter des musiciens et cela s'est fait tout naturellement dans le cercle de famille et d'amis que nous formons.
- Qu'est-ce qui a changé pour vous depuis votre succès ?
- Nous voyageons beaucoup ! Avant on n'avait jamais vraiment mis le nez en dehors de Birmingham. Ce concert parisien fait partie d'une tournée européenne de deux semaines.
- Tout le monde se trémousse sur "Food" sans prêter attention au texte. Il est temps de combler cette lacune.
- En gros, nous parlons de la civilisation occidentale qui se gave de produits de luxe tous les ans à Noël alors que l'autre moitié du monde meurt de faim et attend qu'on daigne leur envoyer quelques restes.
- Avez-vous connu des problèmes face a un public violent ?
- Il semble que pour l'instant on soit à l'abri de ces fauteurs de troubles qui gâchent en ce moment nombre de concerts en Angleterre. Et lorsqu'il qu'il y en a, nous les interpellons et faisons en sorte qu'ils se sentent stupides et déplacés Mais dans l'ensemble nous dégageons de bonnes vibrations.
- Avez-vous eu des offres de la part des grandes firmes discographiques avant de signer sur un label indépendant ?
- Oui, nous avons été contactés par EMI, CBS, Chrysalis ; mais le problème des grosses firmes est que l'on a une avance confortable au départ, mais un pourcentage ridicule sur tes ventes. Avec Graduate, nous avons un contrôle artistique complet sur tout notre matériel, et également de meilleurs pourcentages ; et nous ne devons rien à personne. Nous avons travaillé dans deux studios différents. L'album proprement dit a été mis en boîte dans le petit huit-pistes de Bob Lamb à Birmingham ; pour le maxi-single, nous nous sommes déplacés jusqu'à Londres pour enregistrer dans un 24 pistes.
- Vous êtes satisfaits du résultat ?
- Oui, dans l'ensemble, c'est un bon début, mais il y a toujours ce problème : dès que quelque chose est terminé, on le réécoute et on se dit que ça aurait pu être encore meilleur... Maintenant, aujourd’hui, il aurait pu être dix fois mieux, mais à l’époque, et vu les conditions d’enregistrement, on ne s’en est pas trop mal tirés, tout de même.
- D’où vient "Strange fruit"; la seule reprise de l'album (mis à part le titre de Randy Newman) ?
- C’est une vieille chanson de Billie Holiday ; elle a été écrite alors qu’elle voyageait avec son groupe dans le sud des Etats-Unis, et soudain ils virent un Noir pendu à un arbre, couvert de sang. De là vient le titre "Strange fruit''...
- Croyez-vous que les gens vont danser sur un texte aussi effrayant que celui de ‘‘The earth dies screaming" ?
- Les paroles sont effectivement très dures... Mais nous nous sommes efforcés de les inclure dans des arrangements doux, presque comme une chanson d'amour... Ça passe plus facilement.
- Bon, terminons sur une note plus optimiste, quels sont vos projets immédiats ?
Nous allons passer le premier trimestre de 1981 à répéter et enregistrer un nouvel album, puis, dès mars ou avril, nous tournerons à nouveau, cette fois-ci aux Etats-Unis et en Australie.