Catherine Ribeiro chez elle en 1978
Certains virent en elle une héritière de Edith Piaf. Pas faux !
Elle avait apparemment un avenir dans le cinéma mais elle préféra courageusement s’orienter vers la chanson à texte. Ribeiro, une grande dame très digne...
Fille d'un travailleur émigré portugais, elle est née à Lyon en 1941. Elle est d'abord comédienne (« Les Carabiniers » de Godard, 1963), enregistre deux super 45 tours que l'on peut qualifier de "pop" (1965-1966) ; on la voit même poser dans le magazine Salut les copains. Et puis, au même moment que Valérie Lagrange (mai 68), elle effectue un repli. Elle abandonne le cinéma et la variété pour commencer à construire une œuvre...
Une œuvre, une vraie, en toute liberté (« Vivre libre » est d'ailleurs le titre de l'un de ses CD en concert). Mais, alors que c'est le cas de Valérie Lagrange, en ce qui concerne Catherine, ce ne sont pas les "événements de mai" qui l'ont motivée.
Militante et écologiste
Fin 1968, avec son compagnon Patrice Moullet, il semble que Catherine soit la première à monter, en France, une formation musicale d'une tenue artistique irréprochable et aux textes réfléchis, que souvent noie le désespoir (écoutez le sublime « Jour de fête » sorti en 45 tours au début des années quatre-vingt). Militant et écologiste, leur groupe ("Catherine Ribeiro + Alpes") est très en avance sur son époque. Certains textes sont très personnels ; Un jour, la mort rappelle que Catherine fit une tentative de suicide.
Catherine, torturée comme l’était Piaf
Ribeiro, enfant de Piaf ? Le lien qui les relie n'est pas simplement le 33 tours « Le Blues de Piaf », ce serait trop évident. D'ailleurs cet album dans lequel Catherine reprenait des titres de la Môme n'était pas très bon ; ce n'était hélas pas sa faute : voix excellente, interprétation parfaite... mais orchestrations sacrément ratées. C'est par leurs personnalités déchirées et torturées que les deux femmes sont proches.
Farouche et obstinée, Catherine est effectivement plus proche (et c'est un compliment) des artistes du début du vingtième siècle que des stars du show-business.
Ribeiro, La Ribeiro comme on dit déjà, a su rester aussi pure et fougueuse qu'aux premiers jours de sa lutte, et cela malgré les mille embûches qui ont jalonné sa carrière. Le mauvais sort lui-même renforce dans leurs opinions ceux qui luttent pour un idéal.
- Tes véritables débuts dans la chanson remontent à 1966 en tant que « folkeuse ». Comment en es-tu arrivée à la carrière que l'on connaît ?
- À l'époque, j'étais comédienne et bien sûr, je travaillais un peu ma voix. J'écrivais déjà quelques textes, trop « en avance » peut-être. En ce temps- là je n’étais pas politisée ; mais néanmoins certaines paroles auraient été mal accueillies, surtout venant de la part d'une femme. L'année suivante, pourtant, Polnareff sortait « L'amour avec toi » !
- D’où te vient ta prise de conscience au niveau politique et social ?
- Peut-on vivre éternellement avec des œillères ? Voilà la réponse. Lorsque j'ai réalisé que je me connaissais suffisamment moi- même, j'ai regardé autour de moi. J'ai été effrayée, catastrophée, déçue, angoissée de regarder les autres vivre.
- Dès le départ, tu t'es placée en marge puisque la vocation du chanteur bien « conventionnel » est de chanter des ritournelles pour faire oublier leur malheur aux déshérités...
- Je n'y ai pas pensé au départ. On parle de « marginal », d' « underground », mais il faudrait définir ces termes. Nous avons sorti notre premier album avant « Le Matin des Magiciens », avant les LPs de Triangle, Magma... et nous avons fait les frais d'être les premiers à tenter l'aventure du « groupe pop français », fin 1968.
- Tu es donc une « enfant de mai 1968 » ?
- À titre d'anecdote, je peux te dire que je suis entrée à l'hôpital en avril 68 et j’en suis sortie fin juillet ! Je n'ai pas vécu cette époque. Patrice (Moullet) me portait les quotidiens mais je ne pouvais pas comprendre totalement ; de plus j'étais absolument apolitique à cette époque, j'avais seulement de très vagues notions de justice et d'injustice. J'étais même incapable de lire « Le Monde » ! J'étais vaguement anarchiste.
- Aujourd'hui, as-tu toujours une appartenance politique ?
Oui... Je suis communiste, et fière de l'être. En effet, en 70, lorsque j'ai cherché à m’engager politiquement, je ne comprenais rien aux différents langages des partis. Pendant quelque temps je fus trotskyste puis vers 74- 75, j'en ai eu assez d'être dans une organisation élitaire.
- Ne crois-tu pas qu'à l'heure actuelle il est déjà trop tard : continuer ces luttes sociales alors qu’il faudrait peut-être rapidement trouver un plan de sauvegarde de l'humanité, vu le niveau de destruction, pollution, etc...
- Mais j'étais écologiste avant la lettre ! Malheureusement beaucoup de jeunes se sont réfugiés dans des mouvements écologistes parce que le fait de militer dans les usines, bureaux, entreprises, chantiers, ce n'est pas séduisant pour les intellectuels, d'où cette fuite. Personnellement, je refuse de conduire et de polluer ! Penser que ma fille verra l'an 2020 (« Soleil Vert ») c'est horrible.
- As-tu peur de la mort ?
- Au contraire, elle m'a toujours séduite : la vie telle qu'on nous oblige à la vivre est tellement dure. La souffrance est inutile et lorsqu'elle devient trop forte, il n'y a aucune raison de continuer à la supporter. Je ne suis ni martyre, ni masochiste alors pourquoi endurer toutes les tortures physiques et mentales qui émaillé notre vie.
- Le texte de « Un jour, la mort » correspond à une tentative de suicide de ta part, n'est-ce-pas ? Cela ne correspond-il pas à un moment précis de ta vie où ta ferveur n'était plus suffisante ?
- Non, justement, puisqu'à cette époque je ne luttais pas. J'étais très passéiste ; j'ai réalisé qu'il n'y avait pas d'espoir pour une fille de travailleurs immigrés... A moins de se prostituer en permanence, il n'y a rien à attendre de l'existence pour l'enfant de prolo que j'étais. Mes vingt-cinq premières années ont finalement été très dures. Puis j'ai rencontré Patrice qui m'a appris à mettre mes idées en pratique, alors qu'avant j'étais solitaire. J'avais peur des « autres ». Cette fuite-suicide, j'en ai réchappé par miracle, après un long coma. La force de repartir, je la dois à Patrice... Nous nous sommes aidés mutuellement ; nous étions deux chevaux boiteux et nous nous sommes appuyés l'un sur l'autre.
- Tu fais partie de ceux que chacun connaît, malgré diverses censures, notamment radio et télé.
- La presse, heureusement, m'a appuyée : une page dans « Le Nouvel Observateur », suivie d'un article dans « Le Monde », Jacques Vassal et « Rock & Folk ». Par contre, effectivement, censure quasi-totale en radios-TV en raison de ma prise de position ; on doit me prendre pour une sorte de sorcière !
- Logique, puisque tu te bats sur deux fronts censurés : rock et politique. Cet album, « Piaf », est-il simplement un coup de chapeau à une grande voix ou plutôt un hommage à cette « enfant du caniveau », qui, quinze ans plus tard, est saluée par les plus grands de la terre ?
- À l'époque où j'ai adoré Piaf, je ne connaissais pas sa vie privée. D'ailleurs, si j'ai du goût à connaître la vie des écrivains, des poètes, il n'en est pas de même pour les chanteurs : c'est un métier de saltimbanque. Plus un artiste est secret, plus je l'estime. En ce concerne Piaf, je n'aimerais pas finir comme elle...
- Pour toi, artiste = saltimbanque ?
Pourquoi crois-tu qu'on emploie le terme de « show-business » ? Aujourd'hui la chanson est une machine à faire de l'argent. Le star-system, c'est effroyable. Heureusement, ça change, grâce à des gens comme Marion Brando, Michel Piccoli, Jane Fonda, etc. Il faut casser tout ça. Une anecdote : dans une entreprise où je dédicaçais des disques, une femme m'a dit être étonnée de me voir gentille et calme, alors que sur scène elle me voyait « grande prêtresse ». En 24 h de ma vie, je ne peux tout exprimer alors qu'en concert je suis moi-même à cent pour cent : en moins de deux heures, je chante la colère, la violence, la tendresse, l'agressivité, la rage, la douleur. C'est extraordinaire ! Même mon côté gestuel, s'il irrite certains, exprime ces sentiments.
- Tu as chanté « L'an 01 ». Crois-tu qu'il est en marche ?
- Non ! Nous sommes une génération qui a avancé des idées importantes, et personne ne nous aide à les mettre en pratique. Je suis pessimiste... avec l'espoir quand même ! Je suis en perpétuelle contradiction avec moi-même. Le premier point capital est une meilleure répartition des richesses à l'échelle mondiale. Mais sur le plan nucléaire et armement, il est déjà trop tard. Le seul truc qu'on puisse faire, c'est lutter pour qu'il n’y en ait pas plus. Mais la Terre est minée ! Quant à l'environnement, c’est les travailleurs qui bouffent un beefsteack tous les quinze jours, c'est les vieux qui crèvent sans pouvoir s'acheter un fruit quand on les jette à la tonne, c'est Ie père de famille qui se retrouve au chômage et qui en perd sa dignité, c'est à eux qu'il faut penser. C'est pour ça que j’ai l'air d'une « écorchée vive » : la souffrance des petites gens, ça me déchire. Tous les matins, je passe deux heures à lire la presse. Déjà ma journée est foutue. C'est trop dur. Trop dur !
- Dans tous tes textes, tu chantes les dures réalités de la matière qui nous entoure : as-tu, au fond de même, un côté mystique ou religieux que tu n'as pas encore dévoilé ?
J'avais un côté mystique. je me pose encore des questions que je me refuse à élucider. Quand je chante dans une église, je me sers des éléments qui m'entourent, je m'appuie contre des piliers, je pose ma tête, mes mains sur la pierre... C'est très bizarre, ce qui se passe alors. Mais je me refuse à l'expliciter aujourd'hui. Dans quelques années, peut-être. Avant, il y a des réalités premières tellement plus urgentes !