Asphalt Jungle (Patrick Eudeline), 1977
Celui qui reste l’une des trois figures mythiques d'une certaine scène française a bien voulu répondre à nos questions, et n’a pas déçu....
Mon premier simple n’était pas lamentable ! C’est le premier disque « punk » français, la seule chose dont je suis mécontent c’est « Deconnection », pour les paroles. Il se passait trop de choses à un certain moment, on a essayé d’avoir une vue assez naïve du punk, d’être complètement dedans, c’est une chanson qui a été écrite en décembre 76, la qualité technique, je m’en fous ! Je ne renie pas cet EP, je l’aime bien...
Notre nouveau simple, on l’a fait chez SKYDOG. Marc Zermati, c’est le seul mec que je connaisse qui soit là-dedans depuis 5 ans, bien avant la mode... On était une petite bande à tripper sur les collectors, à redécouvrir les vieilles choses du rock. C’est un peu pour ça qu’on a voulu faire ce disque avec Marc. Il est complètement différent du premier, il y a tout ce qu’on peut aimer dans le rock, en même temps, c’est très drôle, il y a des guitares Rickenbacker, des sax, des chœurs.... Ça n’est pas une porte de sortie envers le punk, nous serons toujours là-dedans, mais ça tourne tellement au ridicule, les gens qui étaient vraiment concernés qui y croyaient vraiment, ont tellement été déçus....
Les média ont tellement, tellement ridiculisé le punk... On a voulu exprimer une attitude vraiment Rock dans ce 45, comme dans notre nouvelle image, une attitude très dure envers ce qui se passe...
Les musiciens sont Ricky Darling à la guitare, Henry à la basse et Dino qui joue du sax et de la batterie. Ça n’a aucun rapport avec X-Ray Spex, en fait, il y a deux stades à passer dans un vrai groupe de rock, d’abord au stade de l’énergie pure, où l’on balance un truc et ensuite où l’on commence à faire des chansons, on a toujours été dans un trip chanson. Avec Ricky, nous sommes fous de groupes comme les Ronettes, Shangri-Las, les Coasters, c’est vraiment une influence... On aime les chansons, nos héros, ça a toujours été, en même temps, des gens comme Bo Diddley, Chuck Berry, Gene Vincent, les « méchants » dans le rock, et le Velvet, on a toujours eu une vision très pure du rock’n’Roll, c’est-à-dire, très R’n’B et puis on a connu des gens comme le Velvet ou Syd Barrett. Ricky par exemple, ses héros, sont à la fois Bo Diddley et Syd Barrett.
On a parlé de mon fantasme de Star... Je n’ai pas de fantasme de star ! Qu'est-ce que ça veut dire un fantasme de star ! ? Les Stars c’est Rod Stewart ! Je ne suis pas Rod Stewart ! J’espère pas ! Je n’ai jamais galéré, je n’aime pas le mot galère, il y a trois ou quatre ans, j’écrivais sur le punk-rock, parce qu’il fallait le faire à l’époque, mais je savais que je monterais un groupe, que je ferais de la musique et quand le moment est venu, je l’ai fait, mais j’ai jamais galéré... j’écrivais sur le punk-rock, parce qu’il fallait le faire différent de ce que c’est devenu maintenant, c’était vraiment très pur, aujourd’hui ça a changé, un truc, on est dedans depuis 4-5 ans devient complètement vulgarisé, c’est fantastique, puisque c’est ce qu’on voulait, mais lorsque c’est trahi et que ce n’est plus du tout ce qu’on souhaitait, c’est très dur.
J’étais pas avant BIJOU, eux aussi étaient parmi la bande de types qui étaient au début, PALMER, c’est un de nos héros, c’est un type qu’on adore complètement. STINKY TOYS, j’ai rien contre eux, eux aussi étaient là un peu au début... il y a 1 ans 1/2 il y avait deux groupes punk en France : STINKY TOYS et ASPHALT JUNGLE.
PATRICK EUDELINE, journaliste : JE NE VOULAIS PAS DECEVOIR LES KIDS. Parfois je réinventais complètement certaines interviews, j’étais tellement déçu. Il y a des types que j’ai rencontrés, qui étaient tellement merveilleux, mais la plupart.... des gens comme ENO par exemple, qui m’a parlé de cybernétique pendant une heure.... Je ne voulais pas décevoir les kids qui croyaient à ces mecs là... Je me disais « il m’a raconté des conneries, et si j’avais été à sa place voilà ce que j’aurais dit », c’est un des trucs, qui m’a poussé à faire un groupe, parce que j’en avais marre de donner des idées aux autres, je voulais les garder pour moi... J’étais surtout pas journaliste, j’étais le genre du type qui ne rendait jamais ses articles à l’heure, j’étais pas fonctionnaire... Je ne me suis pas lancé dans le rock, depuis que j’ai treize ans j’aime ça... J’ai toujours aimé la musique, c’est sûr des gens comme Patti Smith, Lenny Kaye m’ont aidé à amorcer, mais avant de sortir le 45, il y a un an, j’essayais de monter un groupe, pour jouer avec des gens différents, tous les musiciens punks qui jouent actuellement, que ce soit METAL URBAIN, ANGEL FACES ou STINKY TOYS, ont, à un moment ou à un autre, joué avec moi avant, nous avions lancé une scène... C’est la rencontre avec Ricky qui a vraiment fait que ce soit un groupe, ça s’est vraiment passé par hasard, on devait se rencontrer un jour, il y quatre ou cinq ans, je savais que c’était par le biais d’un journal qu’on pouvait balancer une certaine vue du rock, c’était l’époque de la Panthère Electrique, des articles d’Yves ADRIEN, c’était un truc totalement underground on y croyait vraiment... C’était une belle époque... Les NEW YORK DOLLS... les gens avaient complètement flippé, les DOLLS c’était énorme... c’était trop ! C’étaient des vrais chanteurs de Rock, des vrais compositeurs de chansons... C’est comme SLADE ou Suzi QUATRO c’étaient des trucs complètement géniaux, les RUNAWAYS ont tout piqué à Suzi QUATRO et SLADE, nous avions fait des articles, avec ADRIEN, où nous disions qu’ils faisaient des chansons géniales, c’était un groupe punk, et ce sont des gens comme eux, qui il y a trois ou quatre ans, ont tout démarré.... BOWIE.... Ça a été les premiers punks, Ce n’était pas de la Pop musique.... J’adore Richard Hell, j’adore BLONDIE, elle essaye de faire du SHANGRI-LAS en 77, rien que cette idée-là, me fascine, elle n’y réussit pas mais ce n’est pas grave, j’aime bien quand même. J’ai une haine totale pour des groupes comme TELEVISION et TALKING HEADS, c’est de la Pop Musique, ce n’est pas du Rock’n’Roll. Le Rock c’est le truc le plus merveilleux, le plus fragile, n’importe qui ne devrait pas avoir le droit de jouer du Rock, parce que ça a donné King Crimson en 69, ça a donné TELEVISION EN 76. Le Rock, c’est un univers codé, tu rentres quand tu as 13 ans ou tu n’y rentres jamais... C’est un univers magique, complètement mythique... Dire que le rock est politique, c’est un pléonasme, c’est un acte politique par lui-même. « Twist and shout », c'est un acte politique. Les YARDBIRDS n’avaient pas besoin de dire qu’ils étaient contre la guerre du Viêt-Nam, ça se voyait à leurs gueules...
Pistols et Clash : Le rock c’est de la télévision, c’est le reflet d’une réalité quotidienne, on ne peut pas placer un discours politique dessus, un groupe comme CLASH ne fait pas de discours politique il ne fait qu’exposer une réalité, Bob DYLAN n’a jamais été engagé, les gens n’ont pas à plaquer une idéologie sur du rock, il y a une différence entre COUNTRY JOE et le textes des STONES, des WHO ou de DYLAN, un groupe de rock n’a pas à dire « Je suis marxiste » ou autre chose, il l’est peut-être, mais il n’a pas joué ce jeu-là le rock est une révolte par soi-même. SEX PISTOLS, je les connaissais du temps où ils s’appelaient les YOUNG LORDS, il y avait Wally à la rythmique, un type qui est devenu Elvis COSTELLO aujourd’hui et en tant que SEX PISTOLS, la première fois que je les ai vus, c’était au Chalet du Lac, c’était très drôle, nous avons été très peu à vraiment aimer, je me rappelle avoir complètement adoré. Des types comme Manœuvre, qui en avaient dit vraiment du mal à l’époque, se sont réveillés six mois après, parce qu’ils avaient l’air con avec tout ce qui se passait, moi je suis tombé raide, des groupes comme Sex Pistols, Clash, c’est tout ce que j’attendais.... À propos des Clash il y a une anecdote marrante, à l’époque de 101ers, Joe STRUMMER sans avoir jamais contacté Marc (Zermati) disait qu’il avait signé avec SKYDOG parce que c’était vraiment la classe de signer chez SKYDOG ! Mais ça ne s’est pas fait. Marc avait été les voir mais c’était pas encore ça ! Strummer est un mec merveilleux , c’est un vrai rocker !
Godard, Bardot, Françoise Hardy : Lorsque j’écris que parfois, j’en ai marre du R’n’R, et qu’il faut faire croire aux Kids qu’il se passe quelque chose en France, c’est de l’ironie, c’est vrai qu’il ne s’est jamais vraiment rien passé ; le problème, qu’on a tous, c’est que vouloir vivre du Rock’n’Roll en France c’est complètement schyzo, parce que le rock c’est une culture anglaise ou américaine, écrit en anglais ou en américain, et nous en France, on voit ça en touriste. Il y a vraiment eu des réussites merveilleuses dans le rock en France, sans parler de Ronnie Bird, c’est très dur, il faut avoir conscience de ça.... Les héros français qui me donnent vraiment le courage de faire du rock en France, ce sont des gens comme Godard, Bardot ou Françoise Hardy.
J’ai écrit un livre, non par besoin d’écrire, j’aime bien écrire, mais j’avais signé un contrat, j’avais besoin de blé... ça ne me gênait pas d’écrire, et puis j’ai préféré que ce soit moi qu’un autre ! Mais ce n’est pas important pour moi, je suis chanteur de Rock, je ne suis pas écrivain, je ne le serai jamais, quant à dire que je suis un Breton punk c’est de la connerie ! Ses œuvres, je les connaissais quand j’avais 13 ans et que j’allais au lycée... J’ai mis longtemps à comprendre qu’il était plus difficile d’écrire « Da do Ron Ron » que " les Chants d’Adora », ce livre, c’est l’histoire punk il y a huit mois, c'est vraiment très différent de ce que c'est devenu maintenant.
Quand on lit dans les journaux « Trip punk », « Histoire Anti Rock » et que les gens téléphonent à Rock et Folk ou à Best en disant « J’ai entendu parler des Punks, comment on s’engage ? », tu ne comprends plus rien.... C’est pour ça qu’on fait du Rock.... On en a toujours fait de toute façon, parce que le punk c’est le rock ! C’est l’énergie qui prime avant tout... Une certaine pureté.... Je ne veux pas entendre parler d’un groupe comme Télévision... Mink de Ville, c’est génial ! Boomtown Rats, c’est génial ! Mais l’explosion du punk, c’est une certaine image du rock, qui a été complètement vulgarisée et ridiculisée d’une certaine façon, c’était une arme à double tranchant, on croit au début que c’est une chose fantastique et que ça explose et que ça se passe aussi mal... Les groupes mods en 63 - 64, par exemple, ont mis 4 ou 5 ans avant de se faire récupérer, à arriver à King Crimson ou à Pink Floyd et le Punk a mis un an à déconner, les choses vont trop vite, maintenant, c’est dommage... Le Reggae, c’est différent, c’est comme le blues ou le R’n’B. Tu vois ce que je veux dire !