Eric Burdon, Olympia 1976
- La présence de Hilton Valentine sur scène est-elle un pas vers une reformation définitive des Animals ?
- Nous avons effectivement enregistré un album avec les membres originaux des Animals, mais cela n’a rien à voir avec la présence de Hilton : j’avais besoin de son aide, il est également notre « tour-manager ».
- Comment s’est passé l’enregistrement de Original Animals (qui, en fait, est sorti dans le commerce sous le véritable titre Before we were so rudly interrupted) ?
- On s’est assis et on a joué ce qui nous passait par la tête. Je trouve que les Animals ont toujours été meilleurs lorsqu’ils reprenaient des standards ; alors on n’a pas cherché à créer, mais à jouer réellement ce qu’on ressentait. On a enregistré ce disque dans une grande maison : les studios, c’est fini. On peut maintenant arriver à recréer n’importe quel son ailleurs si on a les mêmes ingénieurs du son. Si on le voulait vraiment, on pourrait enregistrer sur la plage ou dans le désert !
- Que pensez-vous de l'actuel regain d'intérêt du public envers les groupes des sixties (Pretty Things, Troggs, Kinks…) ? Pensez-vous que les Animals étaient partie intégrante de ce mouvement ou ne s’en démarquaient-ils pas, par rapport au Blues ?
- Je pense qu’on faisait partie du même mouvement. Beaucoup d’entre nous venaient ainsi d’écoles d’architecture… On faisait tous la même chose en même temps, excepté que pour les Beatles, ça se passait à Liverpool, pour les Stones à Londres, et pour nous à Newcastle. Voilà pourquoi on ne se connaissait pas, jusqu’au jour où nous convergeâmes tous à Londres pour faire des disques, nous mêler au Show-Business.
- Il me semble que vous étiez assez proche de la scène Blues américaine jouée par des Blancs comme le Butterfield Blues Band…
- Oui, il y avait beaucoup de jeunes Blancs faisant vivre cette musique dans les Folk-clubs, mais quand les groupes anglais sont venus aux States, ils ont quelque peu englouti les vraies racines US.
- Comment jugez-vous les Animals d’antan ?
On était bons, mais pas au point de rester ensemble. J’ai eu personnellement l’impression que je devais expérimenter quelque chose de différent, de neuf mais se retrouver, rejouer ensemble après tant d’années a également été une très bonne expérience. Dix ans après, c’est un peu comme si on rentrait à la maison !
- J’ai remarqué votre volonté d’apparaître le moins souvent possible sur scène, comme si vous vous considériez comme un élément du groupe un peu comme avec War…..
- Avec War, j’avais l’impression d’être un «visiteur» intervenant de temps en temps, je ne faisais pas vraiment partie du groupe, c’était Eric Burdon AND War, tandis qu’avec celui-ci j’ai l’impression d’être un instrument plus qu’un musicien. De toute façon je peux faire ce que je veux avec ce groupe, y ajouter, comme j’en ai envie en ce moment, un bassiste ou des choristes. Je ne me sens pas fatigué et je ne ressens aucune responsabilité excepté par rapport à moi-même et au public.
- Alan Price, Chas Chandler, avez-vous écouté leurs productions ?
- J’aime beaucoup ce que fait Alan Price, mais certaines choses m’ont laissé assez froid, notamment son travail avec Georgie Fame. J’aimerais travailler à nouveau avec lui, mais en ne lui faisant faire que ce où il excelle, c’est-à-dire le piano acoustique. Quant à Chas Chandler, c’est un très grand producteur.
- Même en travaillant avec des groupes comme Slade ?
- Je ne pense pas vraiment aux groupes qu’il a produits mais à son travail en tant que tel, et à ce niveau-là, c’est un très bon producteur et manager, c’est le genre d’homme qui croit vraiment à ce qu’il fait, qu’il ait tort ou raison.
- En 1969, votre musique a profondément changé : vous êtes passé d’une musique blanche et britannique à une musique noire et américaine (War). Ce changement musical correspondait-il a un profond changement d’esprit et votre rencontre avec Hendrix y a- t- elle été pour quelque chose ?
- Hendrix reste ma principale influence. Hendrix a été, et est probablement toujours, ma plus grosse influence, d’une manière souvent destructive : il était UNIQUE, je n’ai jamais vu personne faire ce qu’il faisait sur scène ; ses possibilités techniques allaient tellement loin qu’elles en devenaient dangereuses pour les autres guitaristes.
- Vous avait-il parlé de ses projets, de ses ambitions ?
- Il m’avait dit qu’il avait envie de travailler avec une grande formation (cuivres, violons), et de s’orienter vers le Jazz. Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles il est venu faire un bœuf avec War au Ronnie Scott’ s club de Londres, il devait y voir le début de quelque chose vers quoi s’orienter. Il a passé les dernières années de sa vie à faire toutes sortes de rencontres et d’expériences et s’intéressait de plus en plus aux improvisations instrumentales (cf. John McLaughlin). Il était devenu très parano en ce qui concerne les vocaux. Il détestait sa propre voix et, finalement, ne voulait plus chanter du tout.
- Cela peut expliquer pourquoi Buddy Miles chantait souvent en « Lead Vocals » avec the Band of Gypsies…
- Oui, c’en était un exemple. Il devait en avoir marre de jouer, de l’Expérience, de tout ça, comme les Beatles en ont eu assez d’être les Beatles et comme nous en avons souvent assez d’être nous-mêmes. Il faut savoir tout quitter avant d’être écrasé par ce que l’on fait.
- Est-ce pour la même raison Eric Burdon que vous changez votre groupe tous les deux ans ?
- À la base, c’est pour tenter de nouvelles expériences, faire des choses nouvelles. Mais j’aimerais à l’avenir travailler avec quelqu’un sur lequel je puisse toujours compter, avec qui je serais familier, afin de ne pas avoir à repartir à zéro à chaque nouvelle expérience.
- Que pensez-vous du comportement des fans qui essaient de vous piquer vos chaussures ou votre litron de vin ?
- C’est pas gênant : je suis moi-même une groupie, et je ferais volontiers la même chose avec Brigitte Bardot !
- Arrivez-vous parfois à vous échapper du Business et à jouer dans de petits clubs ?
- J’adore jouer dans les clubs, l’ambiance, le feeling, tout y est cent fois meilleur que dans les grandes salles. C’est physiquement plus fatigant, mais je préfère encore jouer une semaine dans une boîte, qu’une seule soirée dans un stade pour avoir le même nombre d’entrées. Au moins, on peut respirer. En outre, dans les grandes salles, le public a du mal à voir de loin. Ce sont toujours les gens les plus riches qui sont les mieux placés. Sans parler des flics ; Je déteste voir des flics dans un concert, mec ! Je déteste voir des flingues pointés vers moi, comment peut-il y avoir une communication entre nous et le public dans de telles circonstances ?
- Pensez-vous que les rock-stars sont prisonniers du Business, ou y a-t-il moyen de s’en échapper (cf Peter Green) ? Vous pourriez décrocher de tout ça ?
- Je suis passé par pas mal de changements. Quand je suis arrivé à New York, pour la première fois, j’ai tout de suite pris un taxi pour la 121è rue, à l’Appollo théâtre de Harlem. C’était fermé, j’étais arrivé trop tard, mais je savais que c’était la première chose qu’il me fallait visiter en arrivant aux States, et j’ai décidé d’y retourner le lendemain. On m’a dit que c’était loin, dangereux mais moi, je m’en fichais pas mal : j’étais prêt à aller à l’East Side à pied, pour communiquer directement dans la rue avec les gens, ça m’est beaucoup plus important que la musique.
- Vous sentez-vous heureux sur scène ?
Quand je suis là-haut, je sais que personne ne va venir m’agresser, pas de coup de fil, RIEN. C’est un autre espace-temps. Par contre quand je suis sur scène, je suis inquiet pour ma femme en espérant qu’elle soit encore vivante (NDR : elle était alors très malade), je me demande si mon téléphone n’a pas été coupé et si j’aurais les moyens de payer mes avocats (NDR : Burdon était alors en procès avec sa compagnie de disques).
- Parlons de Bob Dylan…
- J’adore Desire, c’est l’un des plus beaux disques qu’il ait jamais faits. Dans cet album, il chante pour la première fois de sa vie : il y a une sorte de maîtrise vocale. De plus, il avait avant l’habitude de travailler ses morceaux, de les répéter avec le Band. Maintenant, il a une attitude radicalement différente, tout se passe spontanément, aussi bien au niveau du disque – enregistré comme un « demo », sans re-recording – que des concerts (cf Rolling Thunder Revue). Je l’ai connu personnellement, et il m’a juré de me casser les jambes ! DYLAN DOIT ME CASSER LES JAMBES ! (rires) Oui, quand je suis arrivé aux U.S.A. pour la première fois, on a un peu discuté ensemble, mais la presse a gonflé toute l’histoire, parlant de nous deux comme étant des amis inséparables… et il y a CRU ! Et ça l’a tellement énervé que par le biais de Chas, il m’a fait des menaces au cas où je reparlerais de lui à la presse. Aussi je parle encore de toi à la presse, Bob, et j’attends toujours tes gorilles ! (rires).
- La musique actuelle devient de plus en plus agressive. Que pensez-vous du Blue Oyster Cult assimile, dans sa musique, la folie de la ville et des gosses devenant dingues ? Regrettez-vous le « flower-power » ?
- I don’t care. Je ne considère même pas que ce l’on voit autour de nous c’est de la violence. LA VRAIE VIOLENCE C’EST KEITH MOON EN 1966… le « feeling » souvent plus dur, agressif que maintenant. Je me souviens de Keith Moon lançant ses cymbales à la figure de Daltrey…
- Quel genre de musique écoutez-vous en ce moment ?
- Mose Allison, mais il pas fait grand’ chose. Dernièrement je suis allé enregistrer un de ses concerts. II fait du Blues d’un Style « laid-back ». C’est un chanteur blanc du Mississippi, mais il sonne tout à fait noir, il a fait une sorte de synthèse des musiques blanches et noires. C’est dingue. Georgie Fame a un peu repiqué son style vocal. Sinon, j’aime la musique indienne, la musique classique, également. Et puis Neil Young, Roland Kirk, du Jazz de temps à autre. Je crois qu’il y a pas mal de disques de Rock’n’Roll sur lesquels il va falloir que je me branche, mais je n’ai pas toujours le temps de tout écouter.
- Pensez-vous un jour revenir vivre en Angleterre, ou vous sentez-vous totalement américain ?
- Je suis européen avant tout, et je pense revenir un jour en GB. J’adore l’Angleterre et tout ce qui s’y passe. J’aimerais bien revoir mes vieux potes à Newcastle. Je pense y retourner vivre un jour. Le soleil et l’océan me manqueront. Peut-être viendrai-je habiter à Paris ! (rires) C’est une ville magnifique, la plus belle du monde, vrai ! Vous n’avez pas l’impression que ça peut exploser à tout moment à New York. J’aimerais cependant revivre dans une ville, ça me manque. Mais j’aimerais d’abord remettre mes problèmes en ordre, récupérer aussi bien matériellement que moralement…