Préface

Les Masques et la Plume

J'ai cessé de compter les interviews que j'avais réalisées une fois passé le nombre symbolique de cent. J'ai réuni dans le présent opuscule celles qui m'apparaissent aujourd'hui les plus représentatives d'une période qui couvre les années 1970 à 2000. Ces interviews ne permettaient pas de vraiment pénétrer l'intimité des stars, d'autant qu'étant là pour leur promo, la langue de bois était de rigueur, quitte à parler longuement du « dernier album », fût-il cent fois moins bon que le précédent ! Une exception – mais faut dire que leur album était très moyen : les Beach Boys à Paris au printemps 1980... Mike Love qui se plaint du début à la fin (on l'a spolié de ses droits sur certaines chansons qu'il aurait, selon lui, co-composées) et qui dénigre toute la famille Wilson !
Ça durait généralement une heure, les interviews, point barre. Rarement, on allait ensuite prendre un verre ensemble et parler « d'autre chose ». Les exceptions ont pour nom Michel Jonasz, débutant, quelques bières entrecoupées de mes délires sur ma passion de l'époque : l'expansion de l'univers (Michel, t'ai-je barbé ?)... La délicieuse Valérie Lagrange dans une dèche pas possible en 1977 avant son grand retour : elle se produisait au Café d'Edgar (métro Edgar Quinet, à Montparnasse) devant moins d'une dizaine de personnes, et, auparavant, faisait la manche sur le boulevard en chantant ses chansons. Petit journaliste, j'avais peu d'argent... mais, ce soir-là, quand même davantage qu'elle, et ce fut un honneur que la Grande Dame dont je dévorais les pochettes de disques dix / douze ans plus tôt sans pouvoir me les offrir, m'autorisât à payer les bières ! Avec Ange, aussi, j'étais bien pote ; ils m'offrirent un regard bien différent sur le monde du showbiz et des paillettes : après un triomphe acquis à Paris – porte de Versailles si ma mémoire est bonne -, je rêvais d'une chouette fête d'après concert avec, pourquoi pas, des groupies... Nous nous retrouvâmes à l'hôtel, Christian Décamps, Jean-Pierre Guichard et moi, comme trois cons, à jouer aux cartes au bar de l'hôtel !
Je me souviens d'une tournée avec Magma, surtout pote avec Klaus (Vander me semblait, lui, un peu « fermé »)... Une tournée dont j'allais me barrer en plein milieu : étant un lève-tôt, ô combien je me faisais chier dans ces hôtels de province en périphérie, attendant jusqu'à 3h de l'après-midi que les artistes ouvrent un œil.
Mais revenons aux interviews « traditionnelles », TOUJOURS et obligatoirement chaleureuses : eh, les mecs, ils allaient pas s'engueuler avec un journaliste alors qu'il leur fallait vendre leur camelote au public français ! TOUJOURS et obligatoirement chaleureux... sauf deux fois :
- Daniel Balavoine, hargneux comme pas possible, en voulant visiblement à tous les médias qui avaient ignoré son premier album (De vous à elle en passant par moi) et c'était parti pareil pour le deuxième (Les aventures de Simon et Gunther) que j'avais, moi, trouvé excellent.
- Chris Hillman (quelqu'un connaît-il encore ce nom ?), désagréable comme pas possible. Il venait de former un trio avec ses anciens collègues des Byrds, Roger McGuinn et Gene Clark, mais les deux autres n'étaient pas encore arrivés. Moi, poliment, je propose qu'on attende les deux autres pour commencer l'entretien (c'est vrai, quoi : des trois, c'était quand même McGuinn, la vedette. L'autre : « Ah bon, moi, je compte pas, c'est pas intéressant ce que j'ai à dire ? ». Et comme mon accent anglais est épouvantable, je n'ai fait qu'envenimer les choses en essayant de le calmer !
À propos de mon accent anglais, je tiens à dire à quel point je suis couillon : je commençai mon interview de Jean-Luc Ponty en anglais. Ce type était si connu à l'international que j'avais complètement zappé qu'il était français !
William Sheller, la boulette : j'avais détesté son single « Rock'n'dollars », alors du coup, comme ça me faisait chier de le rencontrer, j'avais pas du tout écouté son album. Bon, je sais même pas s'il m'avait dit bonjour mais, de but en blanc, il me sort « Tu aimes « Genève » ? Moi, évidemment, j'avais compris « Tu aimes Genève ? », la ville. Je trouve ça bizarre, comme entrée en matière mais, bon, je me formalise pas : les artistes, c'est tous des excentriques. Je lui réponds « J'sais pas, j'y suis jamais allé ». Lui : « Genève » c'est ma chanson préférée sur mon album ». Là, t'as l'air d'un con !
Et la soirée avec Jeane Manson pour l'inauguration d'une minable boîte de nuit de grande banlieue parisienne avec le gratin, le maire et tous les élus locaux. Ça aussi ça me faisait bigrement chier, alors j'ai fait ma mauvaise tête, grognon et aucune bonne volonté. Normalement le smoking ou le costard-cravate s'imposait... Moi j'étais en salopette. L'attaché de presse de Jeane vient me chercher au journal. Il tire la gueule en me voyant : « Heu, c'était pas prévu que l'on passe chez vous pour vous changer... ». Moi : «  J'y vais comme ça ». Bon, dans la bagnole le mec me dit que Jeane a arrêté de fumer depuis peu et qu'elle ne SU – PPOR – TE pas qu'on fume en sa présence. Tu crois que je vais passer une soirée avec une chanteuse de variété (sans « s » à variété, faut pas exagérer) sans fumer une seule clope ? Et la soirée ne faisait que commencer. J'arrive chez les ploucs. Je n'ai aucun mépris pour la France profonde... sauf quand elle se la pète. Et là je tombe sur une brochette de bouseux endimanchés et pédants. « Bonsoâââr, je suis un élu local ; et vous, qui êtes-vous ? ». Bouseux qui se la pètent, je dis, car en voulant « la jouer prétentieux », ils avaient négligé des choses aussi peu importantes à leurs yeux que... les plombs. Comme c'était l'inauguration (bonjour monsieur le maire), ils n'avaient probablement JAMAIS allumé en même temps toutes les lampes, la sono, les frigos (pour les boissons), etc. et, fatalement, un compteur martyrisé, ça passe ou ça casse. Paf, les plombs qui sautent. Deux fois, trois fois... À chaque fois, le noir le plus complet. Le plus drôle fut le moment où, en hôôômage à la star Jeane Manson, l'on apporta la fontaine à champagne, moment que choisit le compteur pour une quatrième fois faire des siennes. Mignon caprice d'EDF et je ne sais combien de litres du divin breuvage renversés sur le dance floor au milieu de centaines de petits bouts de verre ou de cristal. Fallait pas danser pieds nus ce soir-là !
Je me souviens de Jacno. C'était l'époque où je vendais des disques rares au marché aux Puces de Clignancourt. Lui, il était gamin, très efféminé, les cheveux blonds à la ceinture. Il déboulait en Solex, achetait deux ou trois raretés des Who et de Françoise Hardy et filait au vent. Quatre, cinq ans plus tard il fondait les Stinky Toys. Charlebois aussi, je l'ai vu aux Puces de Clignancourt. Je sais vraiment pas ce qu'il foutait là. En tous cas il ne m'a pas acheté de disques.
Je me souviens des longues heures passées avec Gérard Manset pour la préparation de mon livre Celui qui marche devant. Il avait toujours pris grand soin de ne pas trop montrer sa gueule, et c'était efficace : on prenait le métro en seconde classe, on restait des heures à la terrasse d'un café à boire du thé – rondelle de citron (bin oui, quoi, j'allais pas prendre une bière. Et j'en suis pas mort, j'allais me rattraper le soir au Gibus)... Des heures, et personne qui le reconnaisse. Et puisqu'on parle du Gibus... C'est là où j'ai découvert Patrick Coutin. Le Gibus... Un endroit où, à la longue, d'y aller presque chaque soir, l'ennui me gagnait, et j'avoue qu'il m'arriva plus souvent qu'à mon tour d'aller dévorer une pizza ou jouer au flipper pendant l'attraction. Eh bien, pour Patrick, ce fut loin d'être la routine : dès les premiers accords de la première chanson, je laissai tomber la boule (et pourtant, moi, le flipper, c'était mon autre passion) et me ruai au premier rang. Et ce n'était pas, comme vous le croiriez, « J'aime regarder les filles », mais « 400 millions de kilomètres », pour moi le meilleur titre de son premier album.
Je me souviens, et garde un tendre souvenir de Pierre Vassiliu, peut-être l'artiste le plus fascinant que j'ai rencontré, de par son incroyable magnétisme. Une heure avec Pierre Vassiliu, c'était l'équivalent de deux mois de vacances au soleil ! Et quelle gentillesse, quelle simplicité ! Idem pour Catherine Ribeiro au désespoir lucide, sur ses gardes à mon arrivée, et qui, étonnée que l'interviewer soit en phase avec elle, s'ouvrit totalement aux questions posées tournant tout autant autour d'une société (déjà) en décomposition que de la musique.
Je me souviens de l'après-midi entière passée chez Richard Anthony, à Pégomas (à 25 bornes d'Antibes)... Ses tonnes de souvenirs qui alimentèrent deux heures pleines de ma série d'émissions pour Radio Bleue... notamment sa tournée et ses relations avec Françoise Hardy, dont je garde aussi le tendre souvenir d'une heure et demie passée en sa compagnie en 1982 (j'ai jamais pu récupérer les photos où nous étions elle et moi côte à côte) ; j'avais ce jour là pour acolyte Jean-Jacques Péroni, encore presque totalement inconnu – c'était au printemps 1982. Vous étonnerais-je en disant que Jean-Jacques et moi étions ronds comme des queues de pelle ? Eh bien la seule vue la grande dame Françoise Hardy entrant dans le studio, nous dessoûla immédiatement.
Sinon, qui d'autre ? Ah, Status Quo ! Je détestais leur musique, alors je ne me suis pas privé de les mettre en boîte. Bin, eux, plus professionnels que moi, ils ne se sont pas démontés. Par contre ils se sont vengés en me laissant dévorer des yeux la bouteille de champagne (je n'aurais pas eu le culot de me servir, quand même. Ah les salauds !).
Sparks, souvenir très rigolo. Hyper gentil les deux, m'ont servi le champagne que je n'avais pas eu avec les précédents. Et il arriva ce qu'il devait arriver à un type peu dégourdi qui n'a que deux mains (et alors ? Vous en avez combien, vous, hein ?)... La cigarette, le micro, la coupe de champ', fatalement, y a un des trois que je devais renverser !
Puisqu'on parle boisson, ne pas oublier Eric Burdon et Rory Gallagher. Les deux, je les ai interviewés deux fois... Et comme on s'était tout dit pendant la première interview, durant la seconde... on a picolé !
Tout aussi chaleureux et interviewé deux fois mais, lui, totalement sobre : Ian Anderson, leader de Jethro Tull. La seconde fois, il me tombe dans les bras. Je lui dis « Mais vous ne vous souvenez quand même pas de moi ? »... « Oh si, me répondit-il, j'ai si peu de fans en France ! ». Un humour so British !
Je n'oublie pas non plus la belle Helen Foley qui trouva que je ressemblais à Dustin Hoffman (elle me verrait aujourd'hui... !)
Certaines interviews furent sans doute si insignifiantes que depuis le temps je me demande si je les ai vraiment réalisées - ce n'est qu'en relevant ma signature au bas des articles que je me dis que, si, j'y étais – mais peut-être était-ce dû à l'usure, à la routine qui, sans doute, impactait la pauvreté de mes questions ; il faut dire qu'on ne choisit pas toujours qui on va interviewer. À l'inverse, il m'arrivait souvent – un coup d'adrénaline ? - des poser des questions trois fois plus longues que les réponses à venir !
Pour finir, impossible d'oublier ma première entrevue. Pas banale et de bon augure : Tina Turner, dans sa chambre d'hôtel parisien. Pendant que je prépare mon magnéto, elle déboule de la douche à poil ! Ah mes aïeux, quel souvenir, surtout pour un débutant !
Mais « je cause, je cause »... Il est amplement temps que je laisse la parole aux autres !