Trust : la première interview (1977)

Trust

En 1977 j’écrivais dans le mensuel ROCK’N’ROLL MUSIQUE. Toute l’équipe « tomba en amour » pour TRUST. Et encore n’avaient-ils publié que… deux chansons sur un 45 tours simple. Ni une, ni deux, nous décidâmes d’être le PREMIER média à leur faire la courte échelle. Une première interview en 1977, une deuxième un an plus tard…

- L’apparition de «Trust » sur le marché des groupes français a été inattendue et rapide…
- Nous nous sommes rencontrés, nous étions à Argenteuil. Nous avons fait l’ouverture du Golf avec un groupe dont vaut mieux ne pas parler, il s’agissait de « Bang ». On a eu pas mal de petits problèmes avec les gens qui les dirigent…
- L’Olympia en première partie de Bijou, un disque. Ce n’est pas rien pour groupe qui débute !
- Tu sais, notre manager était infiltré chez Pathé et c’est lui qui a organisé à la fois Bijou et nous, c’est très simple. - Il y a eu du changement dans les membres du groupe ?
- Oui, le batteur est parti et a été remplacé par Sherwin de Boogaloo Band et notre guitariste nous a quittés car notre musique n’était pas vraiment son trip.
- Etes-vous contents du disque ?
- Oui assez. Il a été fait chez Pathé-Marconi en français et en anglais. La bande anglaise va être envoyée chez Emi Londres. Et… Nous préparons un album…
- En français ?
- Nous avons beaucoup de choses à dire. Au début nous chantions en anglais et il est possible que nous gardions quelques morceaux dans cet esprit, il est des textes impossibles à chanter en français.
- Vous n’avez pas peur d’avoir une image ambiguë ? D’un côté un chanteur à l’aspect résolument punk et le groupe dans le style Hard-rock ?
- Notre influence musicale va des New York Dolls à Aerosmith et à tout ce qui nous branche dans la musique. Pour nous le mouvement punk est quelque chose d’ important mais nous ne nous arrêtons pas uniquement au côté mode, vestimentaire ou frime. Nous essayons de faire une synthèse entre l’acquis du rock de ces dernières années et la violence des paroles groupes punks actuels. Il est absurde de copier, à l’instar de Métal Urbain, les Pistols ou autres. Nous avons essayé de trouver une originalité…
- Justement les membres de Métal Urbain n’avaient pas l’air de cet avis l’autre soir au Gibus…
- Leur attitude est ridicule. Ce sont de sales petits cons, des exhibitionnistes et mauvais musiciens. Quand on aime pas un groupe on se casse mais on ne reste pas uniquement pour critiquer. Je pense qu’ils sont venus uniquement parce qu’ils ne payaient pas ; ils n’avaient visiblement pas écouté notre disque avant.
- L’attitude est-elle typiquement française ?
- Nous avons eu de très bonnes relations avec Bijou durant notre passage à l’Olympia. Ce qui est tuant c’est de juger un groupe à la longueur des cheveux des musiciens ou si le guitariste joue plus de trois accords. Les mecs de Métal Urbain nous ont traités de hippies ou de vieillards. Je crois quand même qu’il y a beaucoup de jalousie dans leur attitude.
- Avez-vous été touchés par la séparation des Pistols ?
- Oui, car c’était vraiment le haut du pavé de la « New wave », Rotten ce n’est pas seulement une image, c’est un mec qui a vachement de choses à dire. C’est un mec vachement important et sincère.
- Existe-t-il un mouvement analogue en France ?
- Non ! il y a des groupes et le premier que je citerai est Shakin’ Street à cause du son, de la cohésion du groupe. C’est vraiment un bon groupe, très différent des autres.
- Fabienne chante en anglais !
- Oui mais il y a certains textes qui sont impossibles à faire passer en français.
- Comment écrivez-vous ?
- Nous essayons de coller à la vie de tous les jours, à se baser sur des faits réels. Par exemple « Bosser huit heures » : nous étions dans un café et on a vu les types courir pour aller bosser. Dans un autre (c’est le chanteur qui parle) je raconte l’histoire de mon père qui bossait et qui est au chômage. Il était syndiqué, cadre tout et tout, fi est allé trouver le syndicat qui l’a envoyé chier, il n’a plus qu’à se laisser crever, personne n’en a rien à foutre, c’est dégueulasse…. Ce qui est dramatique c’est que beaucoup de mecs sont concernés, mon père n’est pas seul dans ce cas , il faut mobiliser la conscience collective…
- Tu as aussi écrit un truc sur les flics ?
- Oui parce que tu vois je suis de Nanterre et en 68, comme tout le monde, j’ai jeté mes pavés… Un jour j’ai été marqué par un fait : j’ai été, au cours d’une manifestation, en présence d’un garde mobile, d’un mec qui avait 22 ou 23 ans et cela m’a vraiment fait chier, il était devant moi avec son flingue, son bâton, ses grenades… J’ai essayé de discuter avec lui, bon le contact n’a pas été possible, il avait des œillères et tout mais voir un jeune type, borné, endoctriné…. Je me suis souvenu de cette histoire et j’ai fait le texte de « Police, milice ».
- N’y-a-t-il pas une politique de rejet vis à vis d’un groupe qui ose parler des vrais problèmes ?
- Tant qu’il y aura des gens comme Métal Urbain le combat sera dur. Même les musiciens rock français ne forment pas une famille, c’est chacun pour soi…
- La New-Wave peut-elle changer quelque chose ?
- Ce n’est pas un phénomène nouveau. Tous les dix ans il y a une vague de groupes nouveaux, tu peux te référer aux années 50, 60 ou 70… As -tu constaté un changement ?
- Le punk est marginal ?
- Actuellement c’est complètement récupéré mais au départ, c’est évident, le mouvement a échappé aux critères habituels. Regarde l’attitude des journalistes rocks qui commencent aujourd’hui seulement à le découvrir…
- Vous avez enregistré votre disque dans un studio voisin de celui des Rolling Stones. Avez-vous quelques anecdotes croustillantes ?
- Nous avons été, dans l’ensemble, assez déçus par Jagger et Richard… Par contre les autres sont humainement sympas et le contact a été plus amical. Il faut quand même reconnaître que Richards est le même dans la vie que sur scène. Il n’y a pas une once de frime dans son image, c’est vraiment la même gueule, le même mec qui se défonce…
- Jagger ne correspond pas à son image ?
- Avant de l’avoir vu nous imaginions la star… alors qu’en fait c’est un collégien, un type vraiment quelconque qui n’a même pas de dégaine.
- Et Charlie ?
- C’est vraiment le mec le plus sympa… Un jour il était dans le hall de chez Pathé et il lisait le journal complètement à l’envers. Il était complètement défoncé, de temps en temps, il s’écroulait ou il se mettait à rire violemment. Et puis il a voulu se mettre à discuter avec notre ancien batteur et il lui a dit : « Qu’est-ce que tu fais ? ». Il lui a dit : « Je suis batteur »… Alors Charlie s’est levé et a dit : « Non ! ce n’est pas possible, à chaque fois que je discute avec quelqu’un, il est batteur »… et il est parti.
- Vous avez vu Keith Moon aux séances ?
- Alors lui il est complètement fou… Il est vraiment perdu. Un jour il est entré dans notre studio. Moon a regardé le plafond et a compté sur ses doigts. Il était en nœud pap, smoking, petite nana avec lui. Il nous a regardés et nous a dit : « Je suis désolé, je suis très fatigué, je viens de faire 3 jours dans un avion. Avez-vous un peu de Dope ? » Nous avons vu aussi le chanteur du groupe AC/DC et depuis nous sommes en très bons termes avec lui. On est vraiment très copains.
- Et toi Sherwin que penses-tu du punk ?
SHERWIN – (c’est le nouveau batteur américain de Trust). Je trouve cela très cool….
- Quel est ton chanteur préféré ?
- Le chanteur de Trust. C’est lui le meilleur !
- Joues-tu d’un autre instrument que la batterie ?
- Oui, un peu de piccolo. Je connais aussi un riff au piano mais le guitariste veut me le piquer pour en faire un morceau et signer à ma place !
- Que penses-tu de Plastic Bertrand ?
- Ça plane pour lui ! J’ai écouté la version anglaise par son cousin : c’est « elle me fait une pipe, hou ! hou ! ! » puis après « il me fait une pipe… ». C’est un mec qui s’est trompé et qui est monté avec un travelo…
- Quel est ton batteur préféré ?
- Ringo Starr !
- Es-tu toujours pote avec les membres de « Boogaloo Band » ?
- Surtout avec Jimmy, c’est lui le meilleur musicien du monde.
- La conclusion ?
On voudrait dire que ça va être dur de réussir. Par exemple notre maison de disque, et c’est certainement partout la même chose, quand nous demandons ne serait-ce que des affiches, c’est le véto. Ou alors des trucs du genre « Ecoute Coco on vient de mouiller 25 bâtons sur Téléphone, il faut attendre… etc. etc.» Tu vois c’est dur. Tu as un mec comme Hergot à la promotion chez Pathé, c’est bien malheureux pour Pathé mais ce genre de mec en a rien à foutre des groupes. Par exemple on a fait un gala au Touquet un dimanche et on a reçu des affiches le lundi. C’est ça un responsable de la promotion chez Pathé….

Trust en route vers la gloire ! (1978)

Que s’était-il passé en un an ? De tous les groupes qui avaient vu le jour fin 77, Trust était sans aucun doute le plus intéressant à l’époque. Malheureusement, ils n’avaient sorti qu’un 45 tours que Pathé s’était empressé de ne pas promouvoir, laissant pourrir dans ses tiroirs un talent certain. De ce fait, la presse n’avait pas suivi et ils n’obtinrent pas en 1978 le support qu’ils auraient mérité. Par rapport aux textes gentillets de Téléphone ou à ceux débiles de… (remplissez vous-mêmes cet espace), ceux de Trust ne pouvaient que vous toucher direct au cœur. Leur carte de visite se présentait sous une très belle pochette des Studios de l’Air, un original d’un côté, et de l’autre une adaptation en français d’un morceau d’AC/DC : «Prends pas ton flingue» et «Paris by night». Des textes ravageurs qui leur avaient valu l’animosité de certains.

- Que vous est-il arrivé de positif depuis notre dernière rencontre, il y a environ un an ?
- Tout d’abord nous sommes arrivés à récupérer notre contrat. Il fallait vraiment le casser car nous avions signé pour trois ans et, en fait, il n’y avait eu aucune promotion. Le premier pressage, de deux ou trois mille exemplaires seulement, n’avait même pas été renouvelé. Il n’y a qu’au moment où nous étions vraiment décidés à quitter Pathé qu’on nous a vaguement proposé de faire éventuellement une maquette de 33 tours…
- Et aujourd’hui ?
- Et bien nous répétons actuellement, nous mettons au point un nombre de titres suffisant pour proposer un album sérieux qui doit être enregistré chez CBS au mois de février.
- Hervé Muller est-il votre nouveau manager ?
- Pas exactement. C’est lui qui doit produire notre album au niveau artistique, au niveau réalisation, etc.
- Comment s’est effectuée cette rencontre ?
- Un soir au Swing Hall., Nous y jouions et Hervé est venu en compagnie de Malcolm McLaren et Steve Jones. Nous avons sympathisé. Le tout aujourd’hui forme une très bonne équipe. Hervé ayant certaines connaissances, il nous a plus ou moins pris en main à une époque où nous n’avions ni manager, ni maison de disques. Hervé fit venir des gens de chez CBS pour nous écouter et je pense que nous les avons assez intéressés. Donc si tout va bien l’album doit sortir pour l’été prochain.
- Vous avez assuré la première partie de AC/DC à Paris. Quelle fut la réaction du public ?
- Fantastique ! Pourtant au départ nous étions tout de même un peu effrayés car il est généralement difficile de faire une première partie à Paris. Mais tout s’est très bien passé grâce, entre autres, aux musiciens d’AC/DC, des gens formidables humainement parlant alors que souvent les groupes étrangers ont tendance à saboter leurs premières parties ! Et pourtant cela faisait deux mois que l’on n’avait pas joué ensemble sur une scène, nous avions juste répété une semaine avant le concert.
- Quelles sont vos influences ?
- Elles sont les mêmes qu’il y a un an. C’est-à-dire les Pistols, AC/DC, Lavilliers…
- Certains disent que votre chanteur a carrément pompé le costume et le jeu de scène du chanteur des Boomtown Rats…
- La comparaison s’arrête au tee-shirt rayé !
- Avez-vous des contacts intéressants avec d’autres musiciens français ?
- Les Calcinator, le groupe Paris, Jean-Louis de Téléphone, Eric, guitariste de Shakin’ Street.
- L’année dernière vous aviez été carrément interdits à l'émission Blue-Jean, je crois ?
- Oui, mais cela s’était arrangé rapidement, ce qui fait que nous avons pu passer un mois plus tard.
- Y a-t-il eu, comme on le dit, un petit coup de pouce de la part de Lavilliers, en ce qui concerne cette histoire ?
- C’est possible qu’il ait parlé de nous, effectivement.
- Une partie du public vous reproche d’utiliser un rythme de hard-rock, musique foncièrement « récupérée », sur des textes aussi engagés que les vôtres.
- Le public a tout de même évolué en un an et demi. Au début effectivement, on choquait un peu car les gens schématisaient. Ils voyaient un chanteur punk et un guitariste « à la Jimmy Page». Cela avait de quoi dérouter certains. Mais ce genre de problème s’estompe à la longue. De plus, nous trouvons que c’est réellement la musique qui colle le mieux aux textes que nous écrivons. En France il y a un malentendu en ce qui concerne le mouvement punk. Lorsqu’on arrive en Grande-Bretagne par exemple, on considère le hard-rock comme un mode d’expression totalement récupéré, accepté comme un simple produit de consommation. En ce qui concerne la France par contre, il n’est même pas encore admis réellement. Donc pourquoi Trust se forcerait-il à avoir une image punk puisque le hard-rock n’est pas moins « marginal »? De plus, c’est tout de même la musique qui nous défoule, qui nous pousse à nous surpasser. Alors pourquoi se priver de cet excitant naturel…
- À part Métal Urbain et vous-mêmes, l’ensemble des textes français sont quand même « mignons », c’est le moins qu’on puisse dire.
- Il y aussi tout récemment un nouveau groupe, Extraballe, qui a écrit « 1000 kilomètres en Union Soviétique ». Il y a tellement de choses à dire, il se passe tant en France et ailleurs, qu’il serait débile de continuer à ne chanter que des chansons d’amour. C’est pas parce qu’on chante en français qu’il faut raconter des conneries.
- N’avez-vous pas peur qu’on vous reproche un jour de vous attirer les bonnes grâces de Rock and Folk en ayant choisi de travailler avec Hervé ?
- On n’est pas putes à ce point-là. Si l’on obtient un jour un article dans Rock and Folk, tant mieux. Mais on n’ira pas pleurer pour l’obtenir. Hervé d’ailleurs refusera d’en écrire un lui-même.
- Trust, en fait, s’agit-il d’un chanteur bien accompagné ou plutôt d’une équipe soudée où chacun a la même importance ? (Réponse du chanteur): c’est une équipe solide et soudée. Sans les autres je ne serais qu’un pauvre con !
- Les groupes français se divisent généralement en deux camps : ceux qui refusent de jouer s’ils n’ont pas un minimum assuré, et ceux qui par contre se forgent des admirateurs à longueur d’années, jouant parfois devant seulement cinquante pèlerins. De quel côté vous situez-vous ?
- Il faut partir du principe que devant dix personnes ou devant dix mille, dans un cas ou dans l’autre, le spectacle doit être toujours aussi bon. A chaque concert, le moindre sou gagné doit servir à améliorer le matériel : éclairages, sono, etc… Néanmoins ce genre de galère peut parfois durer très longtemps, plusieurs mois… Nous en sommes tous très conscients et sommes prêts à jouer le jeu tant qu’il le faudra !
- Quel est le but de Trust ?
- TUER.
- Qui ?
Tuer, jouer pour tuer, s’imposer, que toute personne qui vienne nous voir soit satisfaite en sortant du concert.