Carmine Appice (Vanilla Fudge, Cactus, KGB et B.B.A), 1978

Carmine Appice Vanilla Fudge

Vanilla Fudge Cactus, et B.B.A. sont réellement des institutions, en France: chaque album s'est en effet vendu à chaque fois, et cela sur plusieurs mois voire plusieurs années, entre cinquante et cent mille exemplaires. Un beau record pour des musiciens relativement discrets. Par contre, on semble avoir un peu délaissé K.G.B. par exemple. Quoiqu'il en soit, c'est à l'occasion d'un concert parisien de Rod Stewart que nous avons pu rencontrer le sympathique Carmine Appice. Il n'est pas bien vieux, moi non plus, mais nous n'avons pas pu nous empêcher d'évoquer le « bon vieux temps »... et d'oublier qu'il a cosigné lle tube de 1978, "Do ya think I'm sexy" pour Rod Stewart. Nostalgie, quand tu nous tiens. Where have all the good Times gone ?
- Carmine, on a un peu perdu ta trace depuis le mystérieux « B.B.A. Live in Japan ». Qu'es-tu devenu pendant tout ce temps, et parle-nous ensuite de ce double album que certains fans cherchent toujours.
- Effectivement, après ces incessantes tournées avec Bogert et Beck, un léger passage à vide pour reprendre la forme, et j'ai alors participé à un groupe appelé K.G.B. Signalons que ça n'a pas toujours été le pied et que ce groupe ne m'a pas apporté tout ce qu'il aurait dû en satisfactions professionnelles. K.G.B. se composait donc de Rick Gretch, Mike Bloomfield, Barry Goldberg et un chanteur dont je ne me rappelle même plus le nom ! Ça a duré un an. Il y avait vraiment trop de frictions entre nous tous. Bref, K.G.B. a laissé deux albums qui valent ce qu'ils valent. Par la suite, j’étais en Californie en même temps que Rod Stewart. Coup de fil de Rod, qui me croyait encore avec mes acolytes, me demande, après avoir auditionné une flopée de batteurs, si je n'en connaissais pas un sérieux et disponible dans l'immédiat. Il se trouve que Rod est un pote de longue date, puisque je le connais, ainsi que Ron Wood, depuis 66-67. C’est donc moi qui ai pris cette place de batteur de Rod. En ce qui concerne le « Double Live in Japan » de B.B.A., il n'est effectivement sorti qu'au Japon et les fans ne peuvent donc se le procurer qu'en import. La raison en est la valse hésitation de C.B.S. et les tractations qui ont piétiné des mois durant. Lorsque C.B.S. acceptait enfin de presser le disque, Jeff, Tim et moi-même avions un autre album live, plus récent et avec des tas de morceaux nouveaux à offrir à nos fans. Longues discussions, tant et si bien que le trio s'est dissout avant la fin des négociations. Quoi qu'il en soit, au moins deux extraits du double live doivent figurer sur une anthologie de la carrière de Beck, et c'est une bonne chose car ce "Japan » est fameux.
- Crois-tu rester longtemps avec Rod ou quels sont tes projets ?
- Il y a un truc qui m'éclate assez, c'est publier des méthodes de batterie. La première que j'ai faite a parfaitement marché, et j'essaie de mettre sur pied une sorte de tournée mondiale de démonstration de batterie. J'espère aussi avoir un jour le temps de réaliser un album solo mais en ce qui concerne Rod, il n'y a pas de raison pour que ça ne dure pas.
- Tu crois vraiment que Rod a encore quelque chose à dire ; à part le football y a-t-il quelque chose qui le différencie aujourd'hui de Frank Sinatra ?
Il faut tout d'abord préciser que le projet de jouer avec Rod remonte a très longtemps, ça ne s'est pas réalisé plus tôt pour les raisons que tu sais, chacun étant dans divers groupes. Ce n'est donc que cette année que nous avons pu réaliser ce vieux rêve. De son côté, Rod expérimente quelque chose qu'il avait peut-être presque oublié : jouer avec des musiciens qui n'arrivent pas sur scène complètement bourrés ! De mon côté, c'est un plaisir de travailler avec Rod, au niveau des tempos notamment : au lieu de l'accompagner de façon conventionnelle, selon les morceaux, nous l'accompagnons à contre-temps.
- Revenons à l'époque de B.B.A. Nombreux sont ceux qui affirment que Jeff Beck est un personnage invivable. En as-tu souffert pendant votre collaboration ?
- Oui et non. Il est effectivement insupportable, mais il a un tel talent qu'on ne peut que lui pardonner ses excès et ses écarts. Nous sommes restés d'excellents amis et je crois même que j'ai encore plus ce nouvelles de lui depuis que nous ne travaillons plus ensemble. Il me téléphone sans arrêt ! - Remontons encore dans le temps, à l l'époque de Vanilla Fudge. On avait parlé d'un « come back » de la formation originale.
- C'est malheureusement resté à l'état de projet. L'un d'entre eux a catégoriquement refusé toute éventualité de reformation.
- Il est surprenant de noter que le succès vous est d'abord venu de l'Angleterre et de la France notamment, alors que votre single «You keep me hangin' on » a marché aux States plus d'un an après !
- Oui, notre son était en fait beaucoup plus européen qu'américain. Néanmoins, le single a quand même marché, modestement, aux Etats-Unis au moment de sa sortie. Disons qu'il a fait carrière deux fois !
- Quelle était la réaction du public lorsqu'en '67, en pleine période «planante» (!) vous arriviez avec votre style si personnel et si différent, que certains qualifiaient de rock psychédélique et symphonique, si torturé et complexe ?
- La réaction était fantastique dans la mesure où les gens découvraient réellement quelque chose auquel il ne s'attendaient pas. Le succès de Vanilla Fudge est toujours allé en augmentant et nos audiences à la fin étaient monstrueuses pour l'époque. - Ce n'est pas ta première visite en France. Te souviens-tu du concert annulé au Châtelet ?
Et comment ! Quel souvenir épouvantable ! Il y avait un sérieux problème de générateur et les micros étaient carrément dangereux : tu prenais le jus en les touchant. Néanmoins, malgré cet incident du temps de B.B.A., je garde des bons souvenirs de Paris... Le soir, nous étions sortis traîner dans la capitale... mais on n'osait pas rentrer dans des clubs, gênés de cette annulation. Sinon, je connais aussi l'Olympia pour y être passé avec la Fudge.
- Tu as interprété « Superstition » de Stevie Wonder sur l'album B.B.A. As-tu déjà joué avec Stevie ?
- Non, c'est Jeff qui nous a apporté ce titre. Stevie l'avait composé spécialement pour lui, et cela nous a d'ailleurs bien réussi, le titre étant particulièrement connu... à tel point que lorsque Stevie l'enregistra lui- même, les gens ont cru qu'il faisait une reprise d'un tube de B.B.A. !
- Comment expliques-tu que Beck soit passé du r'n'r bluesy au jazz-rock de « Blow by blow », par exemple ?
- J'en suis assez responsable : lors des tournées de B.B.A., Jeff voyageait dans ma voiture, et, à longueur de route, mon auto-K 7 diffusait toutes sortes d'album de jazz-rock, principalement Mahavishnu. Ça l'a vraiment emballé, je crois !
- B.B.A. était-il une réplique aux Cream ?
- Effectivement, dans la mesure où on y retrouvait aussi un ancien guitariste des Yardbirds, la comparaison peut venir à l'esprit... mais doit s'arrêter là. À l'époque, c'est beaucoup plus de West, Bruce and Laing dont nous étions proches... D'ailleurs, il y avait chez eux un ancien Cream ! Bref, W.B.L. était réellement un concurrent.
- La fin des sixties est marquée par l'explosion des «super groups», dont la plupart d'ailleurs enregistraient un album au plus. Faut-il en conclure que ce genre d'entreprise comprend trop de problèmes d'égo et qu'il faut obligatoirement un leader pour qu'un groupe puisse subsister ?
- Pas du tout ! Le problème ne réside pas là du tout. Il est certain que si nous avions tous eu il y a huit,-dix ans, des managements comme nous en avons aujourd'hui, ces groupes existeraient toujours. Il faut des managers intelligents, diplomates et fermes pour empêcher les groupes de se séparer. Les problèmes d’égo sont facilement résolus. On peut très bien enregistrer un album solo sans pour cela abandonner son groupe d'origine. Vois ce qui se produit avec Kiss, les quatre musiciens sortent simultanément leur albums solo sans que le groupe éclate. De même pour Yes qui a récemment sorti son dixième LP alors qu'on aurait pu craindre la dissolution.
- Au cours des divers groupes où tu t'es illustré, tu as toujours composé quelques titres par-ci par-là. En est-il de même avec Rod ?
- Oui, j'ai d'ailleurs composé le titre principal de son nouveau 45 tours. C'est un rock- disco.
- Disco ?
- Oui, C'est un rythme que j'apprécie autant que les autres. Faire danser les gens, c'est fantastique. Je ne dirais pas, par contre, que j'apprécie la mauvaise disco qui consiste simplement en un grotesque tcha-ca-poum bien lourd, bien gras, bref, une basse, une batterie et le reste on s'en fout... Mais bonne disco, ça me branche bien. En fait, la disco n'est plus, ou moins, rien d'autre que la continuité logique de ce que nous appelions soul / rhythm'n'blues il y a tout juste dix ans. Pourquoi cette forme de musique n'aurait-elle pas évolué non plus ? Earth Wind and Fire est à mon avis le meilleur groupe et le plus représentatif de cette évolution.
- Ne crains-tu pas de te tourner vers une certaine forme de variété en jouant avec un type tel que Stewart ?
- Rod a tout-de-même abandonné ses conceptions d'albums « pour faire danser », avec une face rapide et l'autre lente. A l'écoute de notre nouvel album, il y a, mêlés, des rock'n'roll, des slows, du reggae, etc... mais pas, à mon avis, de ce que l'on qualifie en Angleterre de « middle of the road », c'est-à-dire de chansons de variétés. Ce que j'apprécie surtout chez Rod, c'est son incroyable talent de compositeur. En ce qui concerne la scène, nous jouons, en souvenir du bon vieux temps, le fameux « Stay with me ».
- Ah, jouez-vous sur scène des hymnes en l'honneur des footballeurs ?
- Je préfère le rhythm'n'blues et le rock'n' roll !
- Une dernière question, quels sont tes projets immédiats ?
Je vais produire le prochain album du guitariste Earl Slick, ainsi que celui d'un groupe japonais dont le nom sera bientôt révélé à la presse.