Téléphone, Paris, 1977

Telephone

Interview réalisée chez Jean-Louis Aubert dans un quartier calme et huppé de Paris, à quelques pas de la tour Eiffel... Un appartement où règne un bordel assez copieux, des disques qui traînent çà et là... Ça ne sent pas le fric, ni la frime non plus ! Jean Louis était fatigué ce soir là...
TELEPHONE, ils ont mis moins d’un an à s’imposer comme l’un des meilleurs groupes français ; partout où ils sévissent, c’est le délire. Leur premier album vient de paraître, et peu de temps avant de repartir sur la route pour une tournée promotionnelle, Jean-Louis qui est un peu l’âme du groupe, nous parle de tout cela et d’autres choses...

- Qui joue quoi ?
JL Aubert : Il y a Louis BERTIGNAC, guitare et chant, Richard KOLINKA batterie, Corinne MARIENNEAU, basse, et moi à la guitare et au chant...
- Que faisiez-vous avant Téléphone ?
- Louis était avec Higelin, moi aussi, mais très peu de temps. Corrine dansait... J’ai joué très longtemps avec Valérie Lagrange. J’ai joué avec Richard, le batteur, dans un groupe qui s’appelait SEMOLINA... Il y a six ans ce groupe avait remporté le Tremplin... On a même fait un simple.
- Pourquoi Corrine et Louis ont-ils quitté Shakin’ Street ? Et comment est né Téléphone ?
- Je crois que ça ne les intéressait pas vraiment, et puis il y avait un problème de personnalité aussi. Je leur avais parlé de ce groupe que je voulais monter... Un soir nous avons fait un petit concert surprise, c’était la première fois qu’on chantait sur scène, il s’est passé quelque chose de très fort, Louis jouait de la batterie ; ça aussi, a fait qu’ils ont quitté Shakin’ Street.
- Qui a eu l'idée du nom ?
- C’est moi. Ça aurait pu être Télévision. Nous avons tous cherché, il y avait celui là au début, la seule chose qu’on lui trouvait, c’est que ça représentait quelque chose de matériel, enfin pour les autres ! pour moi, c’était tout un mic-mac de philosophie et en même temps, un peu l’histoire de la machine qui commence à remplacer l’homme... En fait tu es sensé avoir quelqu’un au bout de la machine, c’est un peu comme dans « Hygiaphone »... Comme la télévision, tu vois, tu as l’impression de connaître ou de vivre quelque chose, et tu le vis, tu peux le vivre à des grandes distances, donc ça aide dans un certain sens, dans l’autre ça peut être l’arnaque, parce qu’à la télé ça peut être un acteur, comme au téléphone ça peut être un magnétophone, tu n’en sais rien.. Tu n’as plus besoin de te déplacer pour aller voir quelqu’un, mais tu ne le vois pas vraiment. Même l'électricité des sono... même la scène, c’est un truc à deux visages, tu vois une image de quelqu’un, mais tu ne la contournes pas... Tu ne peux pas interrompre... en fait tu t’y fies, mais tu ne peux pas t’y fier vraiment, tu ne sais pas qui sont les gens, tu sais ce qu’ils envoient c’est tout... C’est l’une des clés de ce que tout le monde vit actuellement, c’est ça qui va, ou tout foutre par terre... enfin, au niveau de la vie des gens... ça peut rejoindre la publicité... Il y a toujours une histoire de communication qui est améliorée par des mécanismes, par exemple un groupe peut se faire entendre par cent mille personnes, tu peux croire que c’est une amélioration, mais d’une autre façon tu les vois, ils font dix centimètres... donc tu perds et tu gagnes, et dans l’histoire de la communication entre les gens, c’est quand même ça qui tient le monde, on est dans une ère où il y a des facilités de « communication » et où tu as des surprises, où les gens sont abusés...
J’ai en tête un morceau que j’ai envie d’écrire, qui parle de la télé, tu vois, tu apprends beaucoup de choses... les programmes sont nuls, mais enfin avec le recul, sans regarder le programme, tu vois des choses seulement tu n’y es pas, et l’abus, c’est que les gens peuvent croire qu’ils ont voyagé alors qu’ils sont resté devant leur télé, c’est à dire que devant la TV tu es quand même passif et tu ne vois que l’angle qu’on veut bien te montrer... C’est comme les disques, c’est un moment qui est figé, on essaye de le faire le mieux possible mais il reste figé, ce que je veux dire, c’est que quelque soit l’état de la personne qui l’écoute, le disque ne changera pas, alors que si je joue devant quelqu’un, suivant son état, je jouerais différemment. En fait on peut ramener plein de choses à des symboles comme le téléphone... bref, un matin on ne trouvait pas et le téléphone n’arrêtait pas de sonner, on s’est dit que c’était le nom qu’il nous fallait... Un nom, au début, ça choque, et en trois jours il nous collait vraiment à la peau, et en plus ce nom était dans les chansons qui, elles avaient été écrites avant, ça revenait comme un leïtmotiv... Hygiaphone...
- Comment s'est passé l'enregistrement de l'album ? Etes-vous satisfaits du résultat ?
- C’était assez neuf pour nous, il y a plusieurs étapes, nous avons répété, et on voulait un « producer », en France on ne sait pas ce que c’est qu’un producteur. Pathé a fait venir un ancien de ROXY MUSIC, Andy Mackay, mais on n’a pas du tout accroché, et il est reparti le jour même, on a cherché, on a contacté de grands producteurs mais ils étaient occupés. Finalement, il y a eu ce type qui s’appelle Marc Thorne qui est arrivé à Paris, il avait la même gueule que nous, un mec qui a 28 ans, tu lui en donnes 22 ! IL A PRODUIT LE PREMIER PISTOLS, il a produit le dernier Soft Machine, YES aussi, nous voulions un son très brut pour notre premier disque et Marc nous a laissé entière liberté ; le résultat est là et c’est vraiment ce que nous voulions.
- Pourquoi ne pas avoir inclus « Ma guitare » ?
- Si nous l’avions faite, il nous aurait fallu toute une face, on a fait une plage de 4 minutes mais ça ne collait pas, cette chanson n’a une raison d’être que si à la fin, il y a ce dialogue ; en concert ce n’est jamais pareil, et puis ça sortait, non pas du contexte TELEPHONE, mais du disque je préférais qu’il figure sur un album live...
- Et « Street Fightin Man » ?
« Révolution »... nous le mettrons peut-être sur la face B d’un simple, peut être sur celui qu’on prévoit de sortir au début de l’année...
- Le fait de chanter «Métro» en province, ce n’est pas gênant ?
- En fait ça rend les gens heureux de savoir qu’ils n’ont pas à supporter le métro tous les jours, c’est assez drôle d’ailleurs, c’est une chanson qui marche très fort sur scène, et particulièrement dans des endroits où il n’y a pas de métro.. .
- On vous reproche de ne penser qu’au fric, apparemment on ne vous pardonne pas d’avoir percé si vite.
- C’est faux, totalement faux, nous, ce que nous voulons, ce sont des moyens qui nous permettent de jouer notre musique dans les meilleures conditions. On a signé avec Pathé, non pas parce qu’il nous proposait plus de fric que les autres en fait, on a fait ce disque chez Tapioca, qu’on a produit nous mêmes, nous n’avons contacté personne, ce sont les compagnies de disques qui nous ont appelé elles nous proposaient, à peu de chose près, les mêmes contrats, nous avons préféré Pathé pour des raisons de moyens, parce qu’ils n’ont pas peur d’investir, au niveau de la promotion, au niveau d’un tas de choses ; ils sont plus flexibles, plus ouverts...
C’est dingue, il y a six mois nous étions le groupe qui jouait pour 10 balles ! Pour notre anniversaire, nous voulions faire un concert gratuit, que ce soit la Fête, voilà trois mois qu’on en parle et tu ne peux pas savoir ce que ça peut poser comme problèmes, on a peur que le simple fait de mettre « gratuit » sur nos affiches fasse venir des gens totalement en dehors de notre musique, et les autres, ceux qui viennent pour nous, d’assimiler TELEPHONE à CONCERTS GRATUITS, de ne voir que ça, et de nous créer des problèmes par la suite, il faut que les gens comprennent, tout cela est très difficile... Il faut que tout le monde réfléchisse...