Frank Alamo, Radio Bleue, 1998

Frank Alamo

À retrouver sur youtube https://www.youtube.com/watch?v=9v73vz_ErgE

Jean-François Grandin dit « Frank Alamo » (1941-2012), pseudonyme emprunté à Fort Alamo, le célèbre western avec John Wayne, est le fils du Pdg des téléviseurs du même nom (Grandin, pas Alamo !). Il aurait pu reprendre l'entreprise familiale, mais ça ne lui déplaisait pas de gratter sa guitare ! Il n’avait pas choisi un pseudonyme pour « faire américain » mais pour que son papa ignore qu’il chantait. Raté : il se retrouve au sommet du hit-parade ! Avant de dérouler l'interview réalisée à la Maison de la Radio à l'été 1998, rappelons l'histoire de ses principaux succès :
1° « File file file » (1963)... C'est l'adaptation de "My little girl" des Crickets, le groupe qui avait accompagné Buddy Holly, dont le texte n'a aucun rapport avec la version française : When my little girl goes to the movies, Nobody looks at the screen. Frank Alamo obtient ainsi son premier n°1 au hit-parade français grâce à la célébration de la moto à grosse cylindrée. La moto porte chance à Alamo puisque son prochain N°1 sera la suite de l'histoire, "Le Chef de la bande", dont le héros se tue en moto.
2° « Da dou ron ron » (1963)... La version originale, "Da doo ron ron" par les Crystals, fut n°3 aux U.S.A. et n°5 en Angleterre. L’histoire de Da dou ron ron est révélatrice du don de Johnny Hallyday pour discerner un tube : il l’a “décroché à l’arraché” à Georges Aber qui le destinait à Frank Alamo. Un soir, Aber et Hallyday se croisent. Johnny lui demande sur quoi il travaille actuellement ; à l’écoute de la version originale (produite par Phil Spector), Johnny s’emballe : il la veut ! Aber réplique qu’elle est réservée pour Alamo. Le ton monte (gentiment), et Aber est obligé de plier. Frank Alamo, dont la version subira les conséquences de la rivalité avec Johnny, sera heureusement gratifié du fameux "Chef de la bande" qu’Aber lui confiera plus tard.
3° « Le Chef de la bande » (1965)... Pour retrouver l'ambiance, l'atmosphère de "Leader of the pack", version originale du trio the Shangri-Las, la principale difficulté de l'enregistrement consistait à trouver un bruit de moteur qui donne "la pêche" à la chanson avant même sa première note. Après avoir fait de nombreux tests, tout aussi décevants les uns que les autres, avec les enregistrements de bruitage disponibles, le producteur du disque, Léo Missir, décrète qu'il doit absolument disposer d'une moto Honda, qui sera placée dans le studio d'enregistrement. Hélas, après maints essais, il doit se rendre à l'évidence : la Honda ne convenait pas, et il fallait immédiatement commander une Harley Davidson. La fameuse Harley ne pouvant être livrée avant minuit, l'autorisation fut demandée à Eddie Barclay de réserver les studios pour toute la nuit ! A tel point que le local dut être repeint le lendemain tant la fumée des gaz d'échappement en avait noirci les murs !
4° « Sing c'est la vie » (1965)... 1965, année charnière. Avant, les versions françaises se vendaient nettement mieux que les VO, en raison notamment du décalage entre leurs dates de parution respectives. Après 1965, ce sera le contraire, les artistes français ne parviendront plus à éclipser les versions anglo-saxonnes. "Sing C'Est La Vie" est un des derniers titres dont la VF, en termes de ventes, tient la route face à la VO de Sonny and Cher.
5° « A travers les carreaux » (1967)... Adaptation de " No Milk Today ", le plus gros succès populaire mondial de Herman’s Hermits qui, pourtant, accumulait les hits dans son propre pays et aux USA. Sortie en octobre 1966, la chanson passait encore fréquemment à la radio six mois plus tard. On frisait l’overdose... l'overdose de lait ! Il est en revanche fort amusant de voir comment la chanson fut traitée en français... “ No Milk Today ” raconte l’histoire d’un couple qui s’est séparé, et, du coup, le laitier n’a plus besoin de passer le matin, puisque le narrateur-chanteur n’a plus goût à prendre son petit déjeuner tout seul. Frank Alamo adapta la chanson : “A Travers Les Carreaux”. Or, le chanteur était alors sous les drapeaux, et la pochette du disque évoquait plutôt le sentiment de regarder le monde à travers... des barreaux !
Frank, la légende raconte que c'est en dérapant sur la neige glacée, tout en hurlant "Alamoooo", votre cri de guerre, que vous avez renversé Eddie Barclay, et que ce dernier, peu rancunier,vous a proposé d'enregistrer un disque.
Non, je ne l'ai pas renversé ! J'avais fait le pari de descendre la combe Martin à Val d'Isère – une pente à 45 degrés avec des bosses de deux mètres -, avec une guitare et un seul ski. Arrivé en bas de la piste – où il y avait un petit attroupement, forcément : les copains avaient parlé du pari ! - il y avait un monsieur qui fumait un gros cigare, appuyé sur ses skis. J'ai reconnu Eddie Barclay, le premier à avoir importé en France des disques en vinyle à une époque où, dans l'Hexagone, on en était encore au 78 tours lourd et cassable. Même qu'il allait les livrer chez les disquaires en triporteur. Il m'a dit « Vous pourriez m'en chanter une petite ? ». J'ai attaqué un rock en anglais. Il m'a dit « Non, en français ». mais pour moi le rock ne se chante pas en français.
Pourtant, «Je me bats pour gagner » et « Laisse-moi tenir ta main », c'est en français. Et ces deux titre ne sont autres que rock pop, « A Hard Day's Night » et« I Want To hold Your Hand » des Beatles.
Et ce en quoi Barclay n'avait pas tort, c'est qu'au début, les Beatles, en France, vendaient peu... On vendait davantage des versions en français de leurs chansons !
Justement, concernant précisément cette seconde chanson, Claude François l'a enregistrée en même temps que vous, mais sous un titre légèrement différent, «  Je veux tenir ta main ». Il n'existait pas de clause d'exclusivité ?
En théorie, si... mais à l'époque, Claude François – Frank Alamo, c'était la bagarre, une barre certes très amicale, mais il y avait une véritable rivalité. Quand on découvrait un super titre, c'était très dur de se l 'approprier, il fallait aller très vite pour prévenir l'éditeur pour qu'il bloque la chanson pour soi, faire écrire des paroles. Et hop, en huit ou dix jours ça devait être en boîte.
Puis il fallait ensuite courir les radios pour faire la promo ?
Non, ça se passait pas comme ça à l'époque, on ne faisait pas de « promo » comme on l'entend aujourd'hui : la maison de disque l'envoyait à toutes les radios mais nous, les artistes, on devait faire une tournée pour le promouvoir. En 1963 j'ai fait une grande, grande tournée avec Sheila, j'étais sa « vedette américaine », on a fait la France entière. C'était formidable pour moi, un jeune qui débutait. J'avais 11 titres, et c'était 11 tubes ! ON passait dans des grands cinémas qui faisaient 1500, 2000 places (NDR : pour mémoire, 1500 places c'était la contenance de l'Olympia). Pourquoi j'évoque Sheila ? C'est parce qu'elle était managée par Claude Carrère. Et Carrère, une fois que les 2000 personnes payantes étaient entrées, faisait ouvrir les portes à l'arrière... et il y avait autant de monde dans la rue qui essayait de s'engouffrer ! Quand on pense qu'il y a encore des gens qui disent que Sheila n'a jamais fait de scène !
Je peux vous assurer du contraire puisque j'ai tourné un an avec elle.
J'ai appris que dans votre jeunesse vous alliez fréquemment en Grande-Bretagne. Avez-vous eu la chance de les voir sur scène ?
Hélas non, et pour deux raisons. D'abord, l'époque : j'y suis allé entre 1957 et 1961, donc avant qu'ils soient connus. Et ensuite parce que, moi, j'allais à Londres... et eux étaient à Liverpool.
En revanche, je sais que les quatre sont venus à l'un de vos spectacles, à vos débuts...
Oui, même qu'ils faisaient un barouf pas possibles. Ils étaient encore inconnus ; je me disais « Mais c'est qui c'est olibrius qui foutent le souk » !
Ensuite vous les avez vus sur scène en France. Vous avez sympathisé avec eux ?
Pas du tout. D'abord parce qu'ils étaient anglais (!)... Non, plus sérieusement, parce que je les ai trouvés mauvais. Ils jouaient hyper fort, c'était épouvantable. Après un spectacle, on va voir les artistes s on a apprécié leur prestation. Dans le cas contraire, on s'abstient. Par contre j'ai fait quatre mois en première partie de Dionne Warwick. Tous les soirs je me régalais à l'écouter chanter après ma prestation. Elle avait une voix extraordinaire. Là, dans ces conditions, on a envie de connaître les gens... Mais la première fois que j'ai vu les Beatles, j'avais vraiment pas envie d'aller prendre un pot avec eux tellement ils étaient mauvais !
Il paraît que vous aviez enregistré votre premier disque en cachette, sans rien dire à vos parents...
- Euh, ma grand-mère était quand même dans le coup, dans le secret ! Mais il est vrai que mon père a fait une drôle de tête lorsque quelqu'un, le jour d'un conseil , a posé sur son très respectable bureau le disque d'un certain Frank Alamo qui ressemblait à s'y méprendre – et pour cause – à un certain Jean-François Grandin, alors présumé héritier de la célèbre marque de téléviseurs ! Lui a dit « Je ne connais pas ce jeune homme ; c'est la tête de mon fils, mais pas son nom. Je ne comprends pas ». Mais il avait très bien compris et le soir, rentré à la maison, il m'a dit « Viens me voir dans mon bureau, toi ! »
- Vous avez été privé de dessert, ce soir-là ?
Non : il a changé d'avis à partir du moment où je lui ai dit combien nous en avions déjà vendus ! Il m'a dit « Alors je vais t'apprendre à gérer ta petite fortune ! ».
Et puis votre image était très « clean », par rapport à vos contemporains artistes rock...
- Oui, j'avais les cheveux courts, les dents blanches, j'étais bien habillé. Tout à fait le contraire des autres aux cheveux longs et jean dégueulasse.
C'était stipulé dans votre contrat, la tenue ?
Non pas du tout. J'étais sain, hyper sportif, ce qui pouvait contraster avec les yé-yé.
- À vos tout débuts, en 1963, vous avez chanté « Sylvie »... C'est l’adaptation de « Denise » du groupe américain Randy and The Rainbows. Hélas pour Frank Alamo, c’est un échec ; la chanson resurgira en 1978 sous le titre « Denis » par le groupe Blondie.
Et moi aussi je l'ai réenregistrée... mais sous le titre « Claudie » car Sylvie, elle m'avait fait souffrir !
Justement, concernant les titres que vous avez réenregistrés, on les trouve bien différents de vos premières versions...
Dans les années soixante, comme j'expliquais à l'instant, on enregistrait à toute vitesse. Aujourd'hui on a davantage de temps. Et donc à s'applique à ne pas refaire les erreurs de jadis. «Je me bats pour gagner » (« A Hard Day's Night »), c'était pas très juste, ce que j'avais fait, à l'époque, on m'avait fait des remarques du type « ça craint un peu ». Alors en 1997 j'en ai tenu compte. Bien sûr je ne le réenregistrerai pas une troisième, une quatrième fois. Mais j'ai conscience qu'on m'attendait au tournant.
Un truc très agréable dans vos disques, c'est cette coutume de doubler votre voix...
J'adorais l'harmonie des deux voix des Everly Brothers, je rêvais de faire pareil qu'eux. Mais j'étais tout seul, alors je chantais en duo... avec moi.
La plupart de vos succès furent des adaptations de titres anglo-saxons, souvent encore inconnus en France car ils sortaient tardivement, du fait, en partie, que notre marché reposait sur le super 45 tours à quatre titres, alors qu'à l'étranger c'était sur le single 2 titres. Tout ça pour dire que les Anglo-saxons devaient attendre d'avoir sorti DEUX disques à succès avant d'être publiés dans l'Hexagone. Mais à partir de 1968 la donne a changé. Plus moyen d'avoir de l'avance. Est-ce que ça vous a inquiété ?
Non, parce que moi j'ai arrêté à ce moment-là. En 1969 très précisément. C'était le moment de souffler : dans ma grande époque, avec des tubes qui se sont chacun vendus à 4 ou 5 millions d'exemplaires (NDR : vraiment ?) chaque matin je devais signer 2000 photos car je recevais 2000 lettres chaque jour. C'était un calvaire !
- D'où l'enregistrement de ce disque pas spécialement réussi, « Envoie-moi ta photo »...
C'était de la volonté délibérée de mon directeur artistique et même de toute la maison Barclay qui voulaient que j'arrête de faire des adaptations.
Et de ce fait vous changez foncièrement d'image avec des titres comme « Bimbo », « Le chasseur de primes » ou le duo avec le Petit Prince.
Moi je lui répondais « Quand les auteurs et compositeurs français seront aussi bons que les Anglais, OK ». Bon, mais il a insisté : « Pourquoi tu veux pas essayer ? ». Moi, « bon, ok, si tu veux ! ». Et j'avoue que je ne suis pas très fier des résultats.
D'autant que, résultat des courses, ça n'a même pas élargi votre public !
Immédiatement après, j'ai réagi en retournant aux adaptations de titres beaucoup plus évolués, comme celle de « Days of Pearly Spencer ».
Entre-temps vinrent 1967 – la mode hippie – et mai 68. Vous n'avez pas eu envie, d'abord, de vous mettre des fleurs dans les cheveux, et quelques mois plus tard de jeter des pavés ?
Non, moi, 1967, ça s'est résumé à une affiche psychédélique dessinée par mon frère. Et 68, j'étais plutôt déçu par ce qu'il se passait. Le mouvement par lui-même, à l'origine, était superbe, mais ensuite ça a dégénéré. Y avait pas besoin de tout casser. Du coup j'ai interdit à ma maison de disque de sortir un disque qui, pourtant, était prêt, car il s'intitulait « La jeunesse a raison ». Il faudrait que je le ressorte un jour !
Peut-être bientôt, dans la mesure où vous êtes bien reparti !
Oui, l'époque est propice aux années 60, plus présentes que jamais. J'ai une maison de disques qui me donne tous les moyens comme ça ne m'était jamais arrivé auparavant : un clip, des spots télé, une équipe toute neuve, tout le temps qu'il faut pour enregistrer (dans le studio de l'ancien batteur des Lionceaux), un son génial – bien meilleur que celui que j'avais obtenu en enregistrant aux Etats-Unis en 1993. Vraiment, si ça ne marche pas...
Et puis vous vous battez pour gagner ! Vous vous êtes battu, également, au tribunal...
Oui, j'ai été attaqué pour... mauvaise prononciation à cause de « Allo MAIllot 38-37 » mon tube de 1964... A l'origine, l'idée n'était pas stupide : je chantais le numéro de téléphone de aa maison de disques. Et le fait est que leurs répondeurs reçurent 288 000 appels en un mois. Mais mon élocution n'étant pas irréprochable, une brave dame, qui n'avait rien à voir dans l'histoire (sinon un numéro d'abonné fort voisin, le… 36-37) fut dérangée durant plusieurs mois par des milliers d'appels incongrus. Inutile de préciser qu'elle porta plainte. Le procès, sans doute le plus ridicule du siècle, eut bien lieu, mais la plaignante fut déboutée.
Avant de nous quitter, une question qui me brûle les lèvres... et que se posent de nombreux de vos fans : pourquoi avez-vous arrêté à la fin des années 60 ? Des bruits courent que c'était en raison d'une chute de popularité à la suite de votre départ à l'armée.
À cause de cette « biche » qui était encore plus jalouse que les précédentes. L'amour est la cause de tous les maux !