Status Quo, Paris, 1980
Leur premier album, le moins connu, date de 1968 et n'a pourtant pas pris la moindre ride... La preuve, d'ailleurs, est qu'on le réédite avec une nouvelle pochette presque tous les deux ans et que le public se laisse piéger, croyant parfois qu'il s'agit d'un « petit nouveau ». Si 68 a apporté beaucoup, socialement parlant, à travers toute l’Europe, elle a aussi énormément contribué à l'évolution de ce que l'on appelait à l'époque la « pop music » et qui prendra rapidement l'appellation plus générale de « rock music ». C'est dans cette époque de transformation et de remous que fait timidement apparition le nouveau grand du rock, Status Quo. Ce premier album, «Pictures of Matchstick Man », était peut-être trop en avance pour son époque, ou plutôt déjà en retard sur l'éphémère vague psychédélique, toujours est-il que l'album n'obtiendra qu'un faible succès. Le fait est que l'étiquette psychédélique ne leur colle pas réellement et il leur faudra attendre quelques changements de personnel, seuls Alan Lancaster et Mike Rossi restant de la formation originale, pour connaître le début d'une véritable consécration avec l'album « Ma Kelly's Greasy Spoon » en 1970, rapidement suivi du fantastique « Dog of two head » en 1971. Cette fois, ils ont enfin trouvé leur image, leur personnalité propre qu’ils ne cesseront d'affirmer de concert en concert, d'album en album, d'année en année. Bref, une histoire plus complexe que ne pourraient l'imaginer les fans fraîchement recrutés sur les bancs de l'école ou dans les caves de banlieue où les petits doigts courts essaient difficilement de reproduire le mieux possible les riffs de « Black dog », « Smoke on the water », « Child in time » ou « Rockin all over the world ».
Comme vous l'imaginez aisément, Status Quo a essuyé plus d'une pénible interview. C’est dire que c'est avec un certain trac, et même avec un trac certain, que je les rencontrai, de passage à Paris pour promouvoir leur nouvel album, « If you can't stand the heat » sur Phonogram, en vente chez tous les bons disquaires.
- Les journalistes rock ont souvent la fâcheuse manie de tout vouloir étiqueter, catégoriser ; on fait notamment une différence entre hard-rock et heavy metal music. Qu'en pensez-vous, où vous situez-vous et croyez qu'il s’agisse surtout d'un problème d'environnement différenciant les musiciens britanniques des Américains ?
- Nous sommes essentiellement un groupe de rock, sans essayer de se chercher une étiquette. Nous jouons pour que notre public prenne son pied. En ce qui concerne le public, il n'y a pas vraiment de réelle différence d'un pays à l'autre, la réaction est la même partout. Peut-être l'Angleterre nous était-elle un peu moins favorable que la France ou l'Allemagne, il y a encore quelques années, mais aujourd'hui, cette légère différence s'est estompée.
- Les rock critics ont aussi toujours la même bête question qu'ils posent inlassablement à tout le monde et à n'importe qui, à savoir votre attitude vis-à-vis du mouvement punk. Sans chercher comme mes collègues à noircir aisément quelques lignes au tarif syndical ou pas, j'aimerais néanmoins savoir si cette « nouvelle vague » n'en a pas fichu un sale coup, commercialement parlant, aux groupes tels que Zeppelin, Floyd, Genesis et Status Quo ?
- Nous étions punk, il y a dix ans. Tout au moins, c’est ce que l’on disait de nous et, à l’époque, ce n'était pas un compliment ni une étiquette commerciale. Cela désignait simplement des musiciens inexpérimentés qui ne savaient pas jouer ou chanter correctement. Effectivement, ce mouvement créé par une presse en manque d'inspiration a amené un nombre incroyable de jeunots débutants, mais tout est déjà oublié : les plus mauvais ont disparu et les meilleurs, les grosses ventes potentielles, ont rejoint les cortèges normaux des autres rock stars confirmées. Bref, rien de nouveau sous le soleil, finalement.. mais ça a tout de même permis a quelques musiciens sans talent et opportunistes de prendre le train en marche et de profiter de l'occasion pour faire un peu parler d'eux. Quoi qu'il en soit, en ce qui nous concerne, cela n'a pas diminué nos ventes ! Nous sommes toujours aussi populaires. Il y a quelques jours, en Angleterre, l'un de nous s'est carrément fait kidnapper par un gang de vingt mômes. Un rapt admiratif, en quelque sorte !
- Au début des années 70, de nombreux groupes britanniques ont dû s'exiler aux Etats-Unis et y donner de nombreux concerts. Les grands groupes anglais sont-ils toujours en crise ?
- Non, heureusement. En ce qui nous concerne, nous sommes financièrement plus qu'à l'aise ! Nous sommes confortablement établis, et tout va bien. En fait, le problème réside au niveau de l'impôt : l'état anglais prend 90% ou plus de ce que gagne un grand artiste, c'est pourquoi, certains musiciens préfèrent travailler aux States.
- Justement, lorsque vous jouez aux U.S.A., ne vous est-il pas pénible de manquer d'une certaine forme de contact avec votre public en jouant dans les salles monstrueuses de 100 000 places où se produisent fréquemment d’autres monstres sacrés du rock fort, j'ai nommé Kiss ?
- Effectivement, c'est horrible de voir cette marée humaine à perte de vue ; l'idéal serait un maximum de 20 000 personnes. l'idéal serait 20 000...
- N'avez-vous pas parfois envie, comme certains de vos grands frères, de splitter (en français, vous séparer) pour entreprendre des carrières, des projets en solo ?
- Etre un Status Quo, c'est une aventure fantastique. Dès le réveil, chacun de nous, quoi qu'il fasse, est partie intégrante du groupe. C'est un travail considérable. Il faut répéter, veiller à ce qu'il n'y ait pas le moindre pépin. Sur scène, il n'est pas question de décevoir le public qui attend un spectacle parfait d'un bout à l'autre. Pas question de forcer sur la boisson ou la fumette avant d'entrer en scène. C'est tout une discipline que d'être un Status Quo.
- Le cinéma est maintenant parfois utilisé comme support au rock, notamment avec Led Zeppelin, qui s'est servi de l’image pour rajouter le rêve à leur show somme toute très mécanique et froid. Pensez-vous un jour présenter votre spectacle à l'aide du cinéma ?
- Nous y avons déjà pensé ; malheureusement, au tournage des bouts d'essai, il s'est avéré que l'un d'entre nous était vraiment trop laid pour pouvoir décemment se présenter sans honte en face d'une caméra. À vos lecteurs de deviner lequel.
- Avec le recul, dix ans déjà, que pensez- vous aujourd'hui de votre premier album ?
- Il était à la fois fantastique et lamentable. Fantastique, pour la nostalgie, la fraîcheur, la spontanéité qu’il contenait... Et lamentable car il était réellement représentatif de notre inexpérience, que ce soit simplement dans notre manière de jouer aussi bien que dans le choix des chansons et du son.
- Comment voyez-vous votre évolution au cours des années à venir ?
- Aussi longtemps que le public manifestera un intérêt pour notre musique, nous continuerons à jouer et à lui apporter ce qu'il désire : du défoulement et l'oubli de ses problèmes. Mais nous voulons finir les meilleurs, ne pas quitter cette place au sommet. Si jamais cet incroyable succès auprès des foules diminue, nous laisserons tomber. Pas la peine d'enregistrer des albums qui n'intéressent personne ou de jouer dans des salles désertées par les kids.
- Que pensez-vous des journalistes musicaux qui cherchent une portée sociale ou politique au rock et qui vous reprochent de représenter l'avachissement du rock, son refus de la révolte ?
- Nous sommes là pour amuser le public et gagner notre vie de cette façon. Si vous joignez politique à la musique, ce n'est plus du « show-business ». Effectivement, dans le monde entier, les rock critics ont dit énormément de mal de nous... mais cela ne nous tracasse plus, cela ne peut plus nous toucher. Nous, ce qui nous importe, c'est que les ouvriers qui ont durement bossé toute la journée se défoulent un coup et oublient toutes les injustices sociales.
- Que pensez-vous alors de gens comme John Lennon ou Bob Dylan qui ont quand même essayé à leur façon de faire évoluer le monde ?
- Lennon, à ses débuts, chantait « She loves you yeah yeah yeah » ou « I want to hold your hand ». Eh bien nous, c'est pareil : nous voulons parler des oiseaux, des fleurs, du soleil et de l'amour. Nous essayons de maintenir l'esprit, la simplicité du début des années soixante. Si des gens veulent entendre parler politique, ils peuvent mettre les informations à la radio, à la télé, acheter le journal. Les gens s'en foutent, en fait, de ce que l'on raconte dans les chansons. L'important est la mélodie, qui doit être facile à retenir, entraînante, qui doit vous donner envie de taper des pieds et des mains, et non les textes que vous pouvez y coller. Le public scandera n'importe quel slogan avec n'importe quel chanteur pourvu que la musique et le rythme assurent derrière. Il ne faut pas tout mélanger ; prendre son pied et faire de la politique ! Si les Beatles, et donc Lennon, se sont fait connaître, ce ne sont pas par leurs déclarations. C'est déjà assez difficile de présenter un show convenable, de jouer sans une fausse note et sans panne matérielle deux heures d'affilée. C'est sans doute une des raisons de notre succès, c'est notre acharnement, notre conscience professionnelle.
- Vous êtes principalement un groupe de scène. Comment arrivez-vous néanmoins à enregistrer des albums aussi vivants en studio ?
- Il est évident qu'il nous manque ce contact avec le public, mais nous essayons de faire de notre mieux. Il est évident qu'un fan qui écoutera notre nouvel album constatera effectivement qu'il est encore meilleur que: les autres.., mais sur scène les mêmes morceaux seront dix fois meilleurs. C'est pourquoi nous sortons des albums en concert de temps en temps. Néanmoins, en studio, il y a aussi certaines manières de travailler. Si un morceau ne décolle pas, il est inutile d'insister et de le refaire dix fois de suite ; on laisse tomber et on part boire un verre pour se détendre, Inversement, sur scène, pas question de reprendre un morceau si on le foire ou si un ampli lâche. Alors, l'un dans l'autre...