Ian Matthews, 1978

Ian Matthews Fairport Convention Southern Comfort

Dans notre série « Les vieux routiers sont sympas », lan Matthews. Une carrière déjà longue, puisque, en 1978, lan avait déjà gravé quatorze albums ! La plupart, d'ailleurs, sont passés pratiquement inaperçus. Le public français se souvient sans doute de sa version très belle et très personnelle du « Woodstock » de Joni Mitchell, de ses albums « If you saw thru' my eyes », « Tigers will survive », « Somedays you eat the bear », ou encore de ses travaux au sein de Fairport Convention et Southern Comfort. Est-il foncièrement instable ? Toujours est-il qu'il a rarement gravé plus de deux LPs consécutifs sur le même label, le dernier étant la petite firme américaine Mushroom (Champignon !). Bref, le voici livré, pieds et poings liés, à votre curiosité malsaine, bande de rats. L'homme lui-même est très doux, frêle, sympathique... et peut-être pas vraiment très gai...

lan, quelle est la raison de ta venue en France ?
Pour rappeler la sortie de mon dernier album, et surtout pour enregistrer une télé avec Drucker ou Guy Lux.
Pourquoi as-changé si souvent de firme discographique ?
Pour la raison toute simple que jamais une seule ne m'a satisfait. Le principal problème a toujours été la promotion. Chaque maison, C.B.S. en tête, considérait qu'il y avait d'autres artistes plus importants à aider et pousser. Cette fois-ci, je suis chez Mushroom, petit label où je suis pratiquement la seule vedette. Le directeur en est en fait en même temps mon manager, mon directeur artistique, etc. Nous faisons tout à la même place, conception de la pochette, photographies éventuellement, choix des titres, notes, etc... C'est une ambiance beaucoup plus amicale, des relations nettement plus intimes et saines. Cela change du show-business habituel !
Fus-tu surpris, à l'époque du Southern Comfort, par le succès de « Woodstock » ?
Enormément ! Il est difficile de savoir ce qui sera un tube, et ce qui ne le sera pas. Surtout qu'en ce qui concerne ce titre bien précis, au départ il n'était pas prévu de sortir en single. Ce qui s'est passé, en fait, est que j'ai performé cette chanson au cours d'un show télévisé de la « Beeb »... et la semaine suivante, ce vieux ringard de Tony Blackburn la choisissait comme « disque de la semaine »... C'était parti.
Néanmoins, il fut largement suivi par une série de 45 tours tous aussi inconnus les uns que les autres. Crois-tu qu'il faut vraiment un « hit » pour catapulter un album et attirer l'attention du public ?
Je n'ai malheureusement jamais été consulté lorsqu'il a été question de sortir des 45 tours. Ce sont mes labels précédents qui décidaient ce qui marcherait ou pas ! Mais grâce à Mushroom, j'ai actuellement un hit aux States.
Ces échecs successifs pendant tant d'années, ces ventes confidentielles sont-elles à imputer à la malchance ou bien doit-on penser que ta musique n'est absolument pas commerciale ?
Ces échecs, je les dois au manque total d'effort de la part des maisons de disques que j'ai traversées. Ma musique n'est pas moins commerciale qu'une autre.
Tu as passé près de cinq ans en Californie. Les musiciens là-bas ne sont-ils pas aujourd'hui totalement abrutis et endormis ?
Je ne peux pas vraiment répondre à cette question.
Alors, formulons-la différemment : pourquoi t'être ensuite installé à Seattle où l'ambiance est sans doute fort différente ?
Je suis resté trop longtemps à Los Angeles, plus que je ne pensais à l'origine et j'ai fini par m'y ennuyer à mourir. C'est une scène musicale sclérosée qui y sévit. Et puis l'air y est devenu dégueulasse !
Un mauvais souvenir, ce séjour à L. A. ?
Non ! J'y ai joué pas mal, ainsi que dans la banlieue, notamment au fameux Sundance Saloon, un petit bar où l'on peut difficilement loger soixante personnes. C'est là qu'on a pu voir Jackson Browne, David Cassidy, Rick Danko et Don Everly. Malheureusement, lorsque les gens ont commencé à être au courant de ce qui s'y passait, ça a commencé à être la pagaille ! Notre groupe, au départ, tenait déjà la moitié de la place. Néanmoins, on s'y est bien amusés, avec mon groupe de l'époque, « Another Fine Mess »... Il me reste d'ailleurs une bande de l'époque où nous interprétions « Rivers of Babylon ». On avait quatre ou cinq ans d'avance ! C'était en 1974.
Durant les deux années suivantes, tu n'avais pas de contrat. La situation n'était-elle pas trop catastrophique ?
J'ai un peu vécu aux crochets de mes amis, je le reconnais. Il faut dire que je n'ai pas été gâté en droits d'auteur, car chaque fois que j'ai quitté une compagnie je leur devais parfois plus de fric qu'eux m'en devaient. C'est tout à fait délirant, mais je n'ai pas gagné un rond de royalties.
C'est à cette époque que tu es entré chez C.B.S. ?
Oui, j'ai eu ce plan à l'époque où je préparais quelques chansons chez l'ami Emitt Rhodes (ancien chanteur des Merry-Go-Round)... On m'a dit qu'il manquait quelques chansons pour achever l'album de reformation des Flying Burrito Brothers, et de fil en aiguille j'ai dégotté un contrat d'enregistrement.
On dit qu’aujourd’hui tu n'écoutes plus que du jazz, du jazz-rock, ce qui peut sembler étrange au public français qui te catalogue de chanteur folk.
Je ne tiens pas du tout à ce qu'on me prenne pour un chanteur folk ! Cela fait quatre ans qu'effectivement je suis fou de jazz. J'écoute aussi énormément John Martyn.
Ce soudain engouement pour le jazz signifie-t-il que tu sois déçu par ce qui se fait dans le domaine du rock, notamment ?
Effectivement, je considère qu'il n'y a plus grand chose de nouveau et d'intéressant dans ce champ bien précis.
J'ai entendu dire que pour des raisons d'argent tu ne pouvais réaliser pleinement tes actuelles ambitions musicales...
Ce n'est pas exactement cela... J'ai voulu dire qu'entretenir un groupe de cinq ou six musiciens en permanence ne m’était pas possible, car tout cela coûte très cher, il faut avoir le sens des responsabilités et payer décemment les gens que j'entraîne avec moi. Si tout va bien, c'est-à-dire si le succès que j'obtiens actuellement aux Etats-Unis se confirme, il me faudra sans doute entamer une tournée promotionnelle en Europe ; à cet instant, j'aurai assez de répondant pour nourrir mon groupe. De toute façon, ce n'est pas le chanteur lui-même, moi en l'occurrence, qui s'occupe de régler ces détails financiers, c'est la maison de disques.
Je suppose que tu as dû être affecté par le décès de Sandy Denny. Penses-tu que sa carrière s'était définitivement tarie lorsqu'elle quitta Fairport Convention ? On a peu parlé de son album solo...
Malheureusement, je ne peux pas dire grand chose à son sujet, étant donné que je ne l'avais pas revue au cours de ces cinq dernières années.
Tu es excessivement calme, pondéré ; tu sembles aimer la liberté avant tout. Comment as-tu réagi lorsque ta version de « Woodstock » passait toutes les radios du monde et qu'on devait essayer de t'avoir à coup de dollars...
Effectivement, il m'a fallu me rendre à l'évidence, les gens qui gravitaient autour de moi, musiciens y compris, ne pensaient plus qu'au fric ! La musique dans tout ça perdait toute importance. Alors j'ai plaqué Southern Comfort car il n'y a rien de plus innommable que des « artistes » qui méprisent leur art et le subordonnent à l'argent.
Il est exact que tu sembles depuis le début de carrière suivre une voie saine, toute droite et constante. Contrairement, considères-tu qu'un comme Dylan assure une certaine continuité malgré tous ces changements, ces cassures dans carrière ?
Je ne me permets jamais de juger qui que ce soit : Dylan encore moins ! Chaque artiste doit pouvoir s'exprimer en toute liberté, sans aucune entrave. En ce qui concerne donc Bob Dylan, j'apprécie énormément tout ce qu'il a pu enregistrer, du premier au dernier album.
Est-il question pour toi de reprendre, justement, l'une de ses compositions sur un prochain album ?
Rien de précis pour l'instant. Je ne décide pas ce genre de chose longtemps avant l'enregistrement en question... Je n'ai pas repris de Dylan depuis Fairport. Habituellement, nous « rodons » nos morceaux sur scène et en répétition et nous arrivons en studio quand le morceau est pratiquement prêt. En effet, vu le prix des heures et des journées d'enregistrement, on ne peut pas se permettre d'utiliser les studios comme local de répétition !
Travailles-tu le son et les arrangements à coup de journées d'incessants mixages et de dizaines prises ?
Non. pour garder une certaine fraîcheur, une spontanéité à notre son, nous ne passons guère plus de dix jours de travail par album.