Tina Turner, Paris, septembre 1975

Tina Turner

Elle ne restait que quelques heures dans notre capitale, principalement pour faire du shopping ; une interview fut organisée à la hâte, tandis que Ike, victime du manque de sommeil, ne pouvait se joindre à nous. Interview vraiment organisée à la hâte, dans sa chambre d'hôtel. Tellement à la hâte que, comme je l'évoquais dans ma préface, j'eus le privilège de la voir sortir à poil de sa douche !
C’est une Tina Turner très détendue, et qui nous avoue apprécier le public français, sa tournée actuelle étant une réussite ; seuls points noirs : deux concerts annulés, à Alès et Orange. Dans l’un et l’autre cas, la responsabilité des Turner n’est pas engagée, le premier show ayant été victime des caprices de l’électricité, tandis qu’à Orange, où ils devaient remplacer Lou Reed, l’organisation du festival refusa de tenir ses promesses concernant les cachets. Cette mise au point faite, Tina nous parle de ses projets : les dates de ses prochains, concerts en France sont déjà fixées. Enfin Tina nous annonce la sortie imminente de son prochain album, Acid Queen, où elle reprend des classiques des Beatles, des Stones et même des Who, en l’occurrence « I can see for miles ». Malgré le titre apparemment significatif donné à ce disque, Tina reconnaît se sentir fort peu concernée par les problèmes touchant à la drogue. Tant pis pour les légendes, Acid Queen n’est pour Tina qu’une image, pas une réalité. Elle est en fait excessivement professionnelle et tient à offrir la perfection chaque fois qu’elle entreprend quelque chose, ne s’intéressant qu’au côté « spectacle » . Elle refuse en effet de voir un impact politique à sa musique, alors que sans la tournée US de 1969 qu’elle effectua avec les Stones, son public serait peut-être encore exclusivement noir. Délaissant ces questions délicates, nous revenons aux débuts des Turner, lorsqu’ils se trouvèrent catapultés par Phil Spector, n° 1 mondiaux il y a tout juste dix ans, avec.le fabuleux « River Deep, Mountain High ». A mon grand étonnement, Tina ne semble pas regretter cette époque ni avoir l’intention de travailler à nouveau avec ce style de producteurs. Elle est définitivement décidée à imposer, si ce n’est déjà fait, le « son Turner », visiblement brimée, d’après ses propos, par cette collaboration avec Spector, ce dernier ayant l’habitude de considérer la voix du chanteur comme un instrument de plus pour arriver au résultat qu’il veut obtenir. Le prochain album d’Ike & Tina Turner ne devrait donc pas apporter de changement révolutionnaire par rapport aux précédents. Attendons-le tout de même avec impatience.

- Après ton expérience dans «Tommy», as-tu l'intention de refaire du cinéma ?
- Rien n'est prévu pour l'instant. On m'a proposé divers scénarios, mais aucun ne m'a passionné comme «Tommy». J'espère toutefois refaire quelque chose de semblable un jour ou l'autre.
- Quelle impression cela fait-il d'être une Acid Queen ?
-Je n'ai vraiment appris ce qu'était cette Acid Queen qu'après le tournage ! Sur le moment ce fut une sorte de rêve pour moi, par la suite je me suis rendu compte de ce que représentait l'aiguille que je brandissais, et qu'il s'agissait bien de drogue. Au moment où j'ai tournée ma séquence, cela a duré cinq jours, je pensais qu'on m'avait donné un rôle de folle, ce qui ne m'ennuyait pas du tout, car je me suis toujours considérée comme un peu dingue !
- Connaissais-tu les Who auparavant ?
-Je ne connaissais que leurs noms et certains de leurs disques. Je n'étais pas particulièrement une de leurs fans. Depuis, j'ai appris à connaître Pete Townshend et Roger Daltrey que je trouve très sympathiques.
- Ton nouvel album s'intitule justement Acid Queen.
- Il est sorti aux USA fin août. United Artist a proposé à Ike de me faire enregistrer une sorte de «Coloured British Album», c'est ainsi qu'ils voulaient l'appeller au départ. Lorsque j'ai été présentée à l'Academy Awards pour mon rôle dans «Tommy», UA a décidé de sortir l'album sous le titre d'«Acid Queen». Il est composé de chansons des Beatles, des Stones, des Who, d'Eric Clapton. Il y a entre autres « Under My Thumb », « Let's Spend The Night Together », ainsi qu'une nouvelle version d'« Acid Queen » et deux compositions d'Ike.
- Je constate, que loin de te cantonner dans la Soul, tu enregistres régulièrement des morceaux de groupes Rock. Il y a eu «Get Back» des Beatles, «Honky Tonk Women» des Stones, « Proud Mary » du Creedence, et maintenant cet album.
- Lorsqu'on prépare un nouveau show, j'achète des tas de nouveautés, et si je sens qu'une chanson peut m'aller, peu importe qui l'a créée, je la chante.
- Phil Spector a produit avec Ike et toi un véritable classique «River Deep Mountain High», n'aimerais-tu pas retravailler avec lui ?
- Certains producteurs, comme Spector, peuvent apporter d'innombrables idées, c'est un fait. Phil est l'un des meilleurs producteurs qui existent, mais il ne cherche pas assez l'originalité. Ce sont la mélodie et la perfection du son qui l'intéressent. Ce qui est facile avec moi. Seulement avec Ike, nous préférons l'émotion, le feeling...
- As-tu entendu la version qu'a faite Deep Purple de «River Deep Moutain High» ?
- Je sais qu'un groupe Rock a enregistré cette chanson. Deep Purple, peut-être ?... J'ai aussi entendu la version des Supremes. De toutes façons, je préfère l'originale...
- Pourquoi n'as-tu jamais enregistré pour Tamla Motown ?
- Nous avons été en pourparlers pour signer chez Motown, et finalement, cela ne s'est jamais fait. J'aime certains disques de cette firme. Ceux de Marvin Gaye, par exemple. Mais je trouve que le son Tamla Motown est plus fait pour des groupes que pour une chanteuse comme moi.