- Principe de l’enregistrement
Bien que la volonté délibérée d'emprisonner des sons, pour les restituer ensuite selon son bon vouloir, ne date réellement que du 19ème siècle, l'idée de conserver des sons n'est pas nouvelle...
Dans son livre De fil en aiguille, Pierre Liénard recense d'innombrables (et passionnantes !) évocations de ce thème. De tous temps, on a cru entendre dans les coquillages le bruit de la mer. La plus belle histoire se rapportant aux sons est sans doute celle du roi Midas, dont l'esclave avait creusé un trou dans la terre pour lui confier un secret. Secret divulgué les saisons suivantes par les roseaux qui y avaient poussé ! Poursuivons l'énumération : en 1548, Rabelais, dans Pantagruel, évoque des cris et des paroles gelés en l'air... L'Italien Posta, en 1590, parle de tubes de plomb "pièges à sons"... en 1656, Cyrano de Bergerac (le vrai, pas le personnage d’Edmond Rostand) cite une étrange boîte "dans un je ne sais quoi de métal, plein de je ne sais quels petits ressorts et de machines imperceptibles. C'est un livre à la vérité ; mais c’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillet, ni caractère. Enfin c’est un livre où pour apprendre on n'a besoin que des oreilles". L'on est bien obligé de constater que Cyrano a d'ores et déjà posé les principes du walkman : "à la chambre, à la promenade, en ville, en voyage, on peut avoir à la poche ou à la ceinture (...) éternellement autour de soi tous les grands hommes, morts ou vivants, qui vous entretiennent de vive voix ; enfin, me les étant attachés en forme de pendant d'oreilles, je sortis pour me promener". Quant au Capitaine Vosterloch, de retour des Terres Australes en 1632, il rapporte l'existence de mystérieuses éponges parlantes qui emmagasinent les sons comme elles ont ordinairement coutume d'emmagasiner du liquide.
On peut presque s'étonner que Léonard de Vinci n'ait pas inventé le CD-rom !
Ce qui a véritablement conduit à la naissance du phonographe est celle du téléphone l'année précédant son invention : Paul Charbon, dans son excellent ouvrage La Machine Parlante, affirme que le phonographe a été inventé en 1877 parce que le téléphone avait été mis au point un an plus tôt. Car toutes les pièces qu'a utilisées Edison pour construire son phonographe à feuille d'étain auraient pu être rassemblées deux cents ans auparavant et donner le même résultat.
Quant à la notion de disque sonore, elle n'est pas nouvelle non plus puisque le disque perforé existe depuis bien longtemps ; on trouve même la trace d'une sorte de juke-box à disques perforés, le "Polyphon", à la fin des années 1870. Les disques perforés, néanmoins, s'apparentent plutôt au système de l'orgue de Barbarie, du limonaire ou du piano mécanique, mais ne sont aucunement des disques enregistrés.
Il est possible de graver un enregistrement sonore dans de nombreuses matières, pourvu que l'on dispose d'une pointe et d'un dispositif permettant de faire tourner la matière destinée à recevoir les sons sélectionnés. Un tour de potier est déjà un studio d'enregistrement rudimentaire ! C'est ainsi qu'une revue scientifique nous a appris qu'on pouvait "écouter" des vieilles potiches et entendre des scènes de la vie à l'époque de Jésus ou des rois Ming (dans de très mauvaises conditions de reproduction, c'est évident). Moins coûteux, mais cependant tout aussi rares que les vases Ming : les disques en chocolat (commercialisés par la Société Stollwerke) que l'on peut écouter avant de les déguster. L'idée peut paraître profondément saugrenue, mais à la même époque (vers le début du 20ème siècle), on reproduisait des photos sur... la peau de certains fruits ! Encore aujourd’hui, certains chocolatiers continuent de confectionner cette gourmandise sonore.
Quant aux jeunes des pays de l'Est passionnés de pop music au cours des années 60, on sait très bien qu'en raison de l'interdiction de propager cette culture "démoniaque", ils étaient contraints de graver les chansons entendues et enregistrées sur les radios occidentales sur... des cartes postales ou des plaques radiographiques !
Enfin, et contrairement à ce qu'on l'on serait en mesure de penser, il n'est pas non plus nécessaire de disposer d'un système s'apparentant à un véritable moteur : on a vu fleurir dans les années 50 des cartes de voeux munies d'un minuscule microsillon et d'une simple aiguille ; il suffisait alors simplement de faire tourner le disque au doigt (si possible à la vitesse de 45 tours à la minute. Testez vos capacités !) pour entendre le message, le bristol de la carte faisant office de membrane reproductrice.