- Les Années Vinyle
Quelle Vitesse de Rotation Adopter ?
La Quadraphonie, un Procédé Mort-né
Une Mode, un Ouragan : le Disco
Grâce au vinyle (découvert en 1946) le grave conflit mondial ne représente qu’une parenthèse dans l’industrie discographique. L'utilisation généralisée du vinyle apporte une bouffée d'oxygène à un marché déjà florissant jusqu'à 1939. Le disque enfin débarrassé des questions de solidité (on parle déjà fièrement de "disque incassable"), de résistance à l'usure (jusqu'alors la durée de vie d'un 78 tours se comptait, dans le meilleur des cas, en dizaines d'auditions, après quoi il “grattait” sévèrement), les professionnels vont pouvoir mettre au point le microsillon. En quelques années, la capacité d'enregistrement sur une face passera de trois minutes à dix fois plus. Vers le milieu des années 70, on pourra loger jusqu'à une heure de musique sur un 33 tours sans trop en gâcher la qualité de reproduction. Soit... à peine moins qu'un CD!
Une fois que le microsillon aura remplacé le 78 tours, le disque pourra s'engager dans la voie de la sophistication. L’avancée se fera dans trois domaines : la recherche purement artistique quant aux enregistrements proposés, la beauté de la pochette qui va devenir un élément déterminant dans le choix du consommateur, et enfin, par vagues et de manière marginale, dans l'aspect du disque lui-même, qu'il soit décoré (PICTURE DISC) ou découpé (SHAPE DISC), comme l’indiquait notre quatrième chapitre. Il est paradoxal de constater que les efforts des concepteurs se sont portés sur ces disques, que l'on peut qualifier de torturés, curieux, anecdotiques, ou, pour le moins, difficiles à réaliser, avant d’explorer les multiples possibilités de la pochette illustrée.
L'art de la pochette
Pendant longtemps, l’industrie du disque ne s’est guère préoccupée de “l’enveloppe”, de “l’emballage” du disque: cette question semblait futile, tant il restait à faire pour améliorer la qualité sonore. Les premières pochettes de disques sont désignées par le terme de “pochettes label” (label sleeves en anglais). Il s’agit généralement de pochettes standard, utilisables pour tous les artistes d’une même firme. On distingue, d’une part, bien visible, le logo de la marque discographique (avec l’adresse du siège social de la maison-mère, et, éventuellement des succursales), ainsi que divers renseignements concernant les parutions des différents artistes de la firme et des conseils d’utilisation (type d’aiguilles à utiliser, entretien et nettoyage des disques, comment les ranger ou les stocker etc...).
Dans les années 30, en France, l'on vit fleurir quelques pochettes dites “personnalisées”, c’est-à-dire éditées spécialement pour un disque en particulier, un artiste précis. Mais, en règle générale, la pochette personnalisée ne rentre véritablement dans les mœurs qu’avec la commercialisation du microsillon. En Angleterre, l’usage de la label sleeve se poursuit même, pour un 45 tours, jusqu’à la fin des années 70, à quelques exceptions près (les EP, super 45 tours “extended play” étaient, eux, mis en vente sous pochette personnalisée glacée). En revanche, tous les pays producteurs de disques ont immédiatement accordé au 33 tours, beaucoup plus coûteux, une pochette personnalisée.
En règle générale, le concepteur considère que simplicité = efficacité, et la majorité des pochettes des années 50 et 60 sont strictement ornées d’un portrait de l’artiste. Si les photos utilisées deviennent de plus en plus élaborées, il faut attendre 1966 pour véritablement assister à la naissance d’un art nouveau, celui de la pochette illustrée. Pour la première fois sans doute, la pochette d’un disque à succès porte un collage-montage de dessins et de photos; il s’agit de Revolver des Beatles. Loin de décourager les acheteurs potentiels (le disque s’installe au sommet du hit-parade), son concepteur, l’artiste Klaus Voorman, dessinateur et également bassiste, a ouvert une brèche, lancé une mode.
1967 : le disque change de visage
Avec leur 33 tours Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band, publié au printemps 1967, les Beatles inventent la notion de concept-album et par-là même décrètent que la pochette joue un rôle à part entière dans la vie d'un disque, dans l'envie du public de le posséder. Cette pochette en particulieri est véritablement une oeuvre d'art qui a nécessité énormément de travail de la part de toute une équipe, dirigée par le photographe Michael Cooper.
La pochette de Sgt. Peppers... mérite à elle seule tout un roman*. D'abord parce qu'il semble acquis qu'elle contient le disque le plus important du 20è siècle (même si Michaël Jackson a vendu un plus grand nombre d'exemplaire de Thriller à l'heure où paraissent ces lignes. Prenons rendez-vous dans cent ans pour comparer les chiffres à ce moment-là), et ensuite parce que cette pochette fait participer, par l'usage de figurines grandeur nature, les personnages qui ont marqué ce même 20ème siècle: ils sont venus, ils sont tous là... si l'on excepte un ou deux qui n’ont pas donné leur accord, et Adolf Hitler qui fut enlevé à la demande expresse de la maison de disques des Beatles. Ces Beatles, en costume de "fanfare militaire", sont entourés par... eux-mêmes à leur débuts, et par des personnages inoubliables autant que disparates, tels que Albert Einstein, Stockhausen, Edgar Allen Poe, Bob Dylan, Mae West, Tony Curtis, Marlene Dietrich, Marilyn Monroe, Laurel et Hardy, Marlon Brando, Aldous Huxley, Fred Astaire, le clown Grock, Lewis Carrol, Johnny Weissmuller, H.G.Wells, Karl Marx, Ghandi (enlevé à la dernière minute, à nouveau à la requête d'EMI, de crainte d'offenser le public indien).
Le concepteur Michael Cooper (qui disparaîtra prématurément, âgé seulement de 31 ans, victime d’un furieux cocktail de scotch et mandrax) fera tout aussi fort quelques mois plus tard en se réalisant la célèbre pochette en relief de l'album des Rolling Stones, Their Satanic Majesties Request (le relief, l'impression de volume, la photo en trois dimensions ("3D") sera utilisé à nouveau dans le futur, notamment par Mungo Jerry (pour la pochette de leur premier LP, en 1970, livré avec une paire de lunettes bi-colores), puis par les Stranglers, pour leur album The Raven. Le groupe UB 40 utilisera, quant à lui, l'hologramme, pour illustrer en profondeur l'une de ses pochettes.
Mais revenons aux Rolling Stones qui, peu de temps après leur pochette en relief, envisageaient un concept bien moins distingué: le projet de pochette de Beggar's Banquet n'était autre que des toilettes publiques aux murs maculés de graffitis! Projet refusé par leur firme Decca, ce qui ne fera qu'aggraver le malaise avec le groupe qui s'empresse de fonder son propre label, Rolling Stones Records, enregistrant, contrat oblige, un dernier 45 tours pour Decca... 45 tours pas plus publié que la pochette précitée, dans la mesure où les deux titres étaient, pour le moins, offensants: Cocksucker Blues ("le blues du suceur de bite") et Fuckin' Andrew ("On baise Andrew", à l’adresse de leur directeur artistique Andrew Oldham).
Bien évidemment, la pochette fait partie intégrante du concept-album; c'est le cas de Sgt. Peppers, déjà cité; c'est le cas également de Their Satanic Majesties Request. Et aussi celui de The Who Sell Out, troisième album des Who sorti en décembre 1967. En Angleterre, les quatre années qui venaient de s'écouler avaient été placées sous le signe de la pop music, grâce à l'action d'une dizaine de radios pirates qui avaient bouleversé le monde des médias. Or le Premier ministre Harold Wilson avait eu raison des rebelles, les déclarant hors-la-loi le 14 août 1967. Seule Radio Caroline résista (pour peu de temps encore, mais ça les Who ne pouvaient pas le deviner!); The Who Sell Out est donc conçu comme une émission de radio pirate... et la pochette de l'album elle-même constitue une page de publicité; chacun des quatre Who vante un produit. Le plus à plaindre aurait dû être le bassiste du groupe, John Entwistle, qui devait plonger tout habillé dans une baignoire remplie de haricots tièdes. Mais lorsqu'il apprit par téléphone qu'on l'attendait pour photographier la scène, il se débrouilla pour arriver en retard... et c'est le chanteur Roger Daltrey qui posa à sa place (on sent déjà percer chez lui le futur grand acteur; il pousse en effet le professionnalisme jusqu'à laisser dégouliner de sa bouche un filet de ces délicieux haricots en sauce, les Baked beans Heinz).
De plus en plus, la pochette devient une “oeuvre dans l’oeuvre”, parfois presque aussi importante que le disque lui-même. De nombreux livres ont été publiés, depuis, regroupant les plus belles pochettes de disques des années 70 et 80. Le studio britannique Hipgnosis est vénéré pour ses somptueuses pochettes; en France, le Studio de l’Air est lui aussi fort réputé. Parfois, également, le concept astucieux attire l’attention: Stevie Wonder, non-voyant, publia l'un de ses albums sous pochette imprimée en braille.
C'est alors que survient, principalement en Grande-Bretagne, la mode des pochettes multiples. Pour un même disque, l'artiste choisit plusieurs possibilités de pochette. Le fan sera-t-il assez fanatique (ou assez gogo) pour acheter x fois le même disque sous emballages différents? La question est à poser aux admirateurs de Doctor Feelgood (cinq pochettes différentes pour As Long As The Price Is Right, chaque pochette, d'une couleur différente, représentant un billet de banque glissé dans un soutien-gorge… une pochette par valeur: £1, £5, £10, £20 et £50), les Damned (quatre pochettes, une par membre du groupe, de leur album de 1979 sur le label Chiswick référencé CHIS 112), Led Zeppelin (six pochettes en 1979 pour In Though The Outdoor), les Zones (quatre pochettes en 1979 pour leur album Under Influence), le record étant battu par Ian Dury qui proposa 48 pochettes différentes dans le monde entier pour son album Do It Yourself (référence Stiff SEEZ 14). Il fallait être sacrément fanatique de cet artiste pour essayer de posséder l'intégalité des variations, car il n'y avait pas vraiment de notion artistique dans ce gadget: Ian Dury avait simplement demandé d'utiliser 48 motifs différents de papiers peints! Ce gimmick de la pochette multiple ne fut qu'une mini-mode: tous les exemples cités se rapportent exclusivement à l'année 1979 et à des artistes stictement britanniques. Une vogue qui n'a guère fait de vagues!
En 1981, le groupe britannique Psychedelic Furs commercialise, à tirage limité, une pochette à écouter. Indépendamment du 45 tours qu'elle contient, la pochette trouée, tournant en 33 tours, offre des extraits de Talk Talk Talk, leur album à venir (CBS A 1166).
En 1986, pour les besoins de la B.O. du dessin animé American Rabbit, Mark Volman et Howard Kaylan (deux anciens membres des Turtles puis des Mothers of Invention) inaugurent la pochette de disque à colorier. Et de plus, elle est effaçable et donc réutilisable!. En matière de pochette, toutes les idées les plus folles ont vu le jour... jusqu'à la pochette comestible (l'album Einsame Herzen par Das Ensemble Fix und Fertig). Mais le véritable collectionneur n'est pas obligatoirement attiré par l'objet le plus sophistiqué: accessoirement, la pochette "ordinaire" (désignée en Grande-Bretagne sous les termes "factory sleeve" ou "label sleeve") joue son rôle dans le plaisir de posséder un 45 tours d'époque.
Pendant bien longtemps, on a un peu délaissé, pour ne pas dire dédaigné, le "single", c'est-à-dire le 45 tours ordinaire, sans pochette illustrée, délivré dans une pochette standard. Or, au fil du temps, les dites pochettes se sont détériorées, sont passés négligemment d'un disque à l'autre (quelle hérésie de trouver un 45 tours de la firme Vogue dans une pochette Polydor. Ou l'inverse!) pour bien souvent terminer leur carrière à la poubelle, remplacées par une pochette uniformément blanche. Si traquer une pochette Decca, RCA, Pye ou Parlophone des années 60 reste une tâche encore relativement aisée, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit de retrouver ces pochettes en papier à l'emblème mythique de Planet, Immediate, Blue Horizon, Brunswick ou Track...
Naissance du microsillon
Il existe deux moyens de stocker d’avantage de musique ou de dialogue sur un même disque : soit augmenter son diamètre, soit ralentir sa vitesse de rotation.
Tandis qu'en France, l'accompagnement musical d'une projection cinématographique était effectué, soit en direct (présence d'un pianiste, voire d'un orchestre, dans la salle de projection), soit par la diffusion d'un ou plusieurs 78 tours Ciné-Disc (disques spécialement réalisés à l'intention du cinématographe), les Américains, en 192, virent fonctionner, dans les salles de cinéma, un enregistrement du chanteur de jazz Al Jolson sur disque d'un diamètre de 96cm et tournant à la vitesse de 33 tours à la minute.
Ce test à 33 tours à la minute dut sembler concluant : bien que le disque "Longue Durée", tel que nous le connaissons (microsillon), ne soit rendu public qu'en 1948, il a connu diverses poussées de fièvre dès sa première utilisation vingt ans plus tôt.
Après une première commercialisation, infructueuse, aux USA en 1931 par la firme Victor sur disque en vitrolac (un enregistrement de la 5ème symphonie de Beethoven), on voit apparaître, en 1936, un disque au sillon beaucoup serré que celui du 78 tours traditionnel... que l'on ne peut néanmoins pas encore désigner par le terme de "microsillon". Entendons-nous, d’ailleurs, sur le terme de “microsillon”: il s’agit d’un sillon environ trois fois plus ténu que par le passé. Par centimètre, on compte cent “tranches” de sillon sur un 33 tours ou sur un 45 tours, tandis qu’on en compte 36 sur un 78 tours. Rappelons néanmoins cette devinette courante dans le monde du disque: Combien y a-t-il de sillons sur un disque? La réponse est: un seul par face, puisque c’est un sillon ininterrompu qui court du début à la fin de la face!
L'arrivée du "single" (45 tours simple) en 1946 marque le déclin du 78 tours... qui résistera cependant une dizaine d'années, les compagnies discographiques, dans leur ensemble, laissant la possibilité au disquaire et à l'acheteur de se procurer les dernières nouveautés au format de son choix. Il est vrai que ce choix reste délicat: en effet, plus un disque tourne lentement, plus le pleurage augmente. L'idéal aurait donc été un microsillon, certes, mais avec une grande vitesse de rotation (c'est pour cette raison que l'on verra, brièvement, la firme Philips mettre sur le marché, en 1951, des microsillons 78 tours d'un diamètre de 17cm et commercialisés sous le nom de minigroove 78). Le catalogue Philips, disponible en France à l’automne 1951, met l’accent sur son nouveau tourne-disques à deux vitesses, 33 tours et 78 tours, occultant ainsi celle de 45 tours, pourtant en usage aux U.S.A. depuis cinq ans.
Pendant quelques temps, en effet, le 78 tours fait de la résistance: jusqu'au milieu, voire jusqu'à la fin des années 50 (selon les pays), on continuera d'en trouver, malgré l'impact du microsillon. En Grande-Bretagne, les derniers 78 tours seront fabriqués en 1959.... mais en Inde, par exemple, on en confectionnera jusqu'au milieu des années soixante, donnant ainsi naissance à des pièces de collection fort recherchées (notamment lorsqu'il s'agit de ceux interprétés par les Beatles, sur le label Parlophone). Bien entendu, aujourd'hui encore, une poignée de nostalgiques ne jurent que par le 78 tours; en Angleterre et aux Etats-Unis, on arrive encore à trouver une ou deux presses, mais les tirages restent fort limités, de l'ordre de 300 exemplaires, numérotés individuellement (c’est le cas de la firme Cruisin’ qui a ainsi réédité les 78 tours les plus rares et les plus recherchés des grands noms du rock’n’roll tels que Eddie Cochran, Jerry Lee Lewis et Johnny Burnette).
C'est le 21 juin 1946, date historique, qu'est officiellement mis au point, par les ingénieurs René Snepragers et Peter Goldenmark, le premier microsillon, à l'intention de la firme Columbia. Ses caractéristiques sont, pour l’époque, étonnantes, sa lecture s’effectuant par des pointes de 15 microns (1 micron = 1 millième de millimètre), d’une durée de vie de plusieurs centaines d’heures si utilisé avec une tête de lecture d’un poids de 5 à 8 grammes (contre 30 grammes précédemment), une centaine de passages possibles sans la moindre altération notable, et une durée possible de 20 à 25 minutes par face. Le discophile devra prendre soin de ne pas utiliser ses antiques aiguilles de phono, sinon il va littéralement labourer ses microsillons. C’est pour cette raison que, durant toutes les années 60, les électrophones seront munis de la double tête de lecture (pour 78 tours et pour microsillon).
Le poids du disque
Si le diaphragme s’allège, le disque aussi. Pour une même durée d’audition, un single en vinyle pèse 35 grammes, soit... dix fois moins qu’un 78 tours ! Un journaliste, en 1950, s’était amusé à “peser” l’œuvre de Beethoven, décrétant que ses neuf symphonies pesaient 16 kilos sur 78 tours, contre 1,8 kilos en 33 tours (calcul que nous n’avons pas vérifié, mais qui semble logique).
Le microsillon sera commercialisé dès 1948. Immédiatement les fabricants mettent l'accent sur la véritable révolution: la durée d’audition, dite "long playing". Est désigné par le terme "Long Playing" (Longue Durée, ou Long Jeu comme on dit au Canada) une durée suffisante pour éviter à l'auditeur de se relever toutes les deux ou trois minutes pour changer de disque (cela dit, le principe du "Single Play". Ce terme va donc s'appliquer principalement au microsillon 33 tours, car le 45 tours simple, lui, n'est guère éloigné de celui du 78 tours, puisque, durant de nombreuses années, sa durée dépassera rarement trois minutes par face.
Le microsillon va transformer, non seulement le monde du disque, mais aussi celui de la chanson. Une nuance qui a de l'importance:
Avant, n'importe quel chanteur pouvait se présenter sur scène avec un seul accompagnateur, pianiste ou accordéoniste.
L'avènement du microsillon a tout bouleversé: n'importe quel disque actuel bénéficie du concours d'orchestrateur et d'arrangeurs qui sont de grands musiciens (Mouloudji, vers 1950).1948... Afin de préserver les prodigieuses qualités du microsillon fraîchement apparu sur le marché, il convient de le protéger au moyen d’une pochette intérieure en papier qui évite les frottements à l’intérieur de la pochette en carton, sensiblement plus large que le disque lui-même. Grâce à cette protection en papier, le disque ne bougeant pas, les poussières ont moins tendance à s’incruster dans le sillon (on inventera même, à la fin des années 70, la pochette intérieure antistatique. Fabriquée en France par la firme Topodis, cette pochette de marque D’STATIC brevetée SGDG n’a pas connu le succès qu’elle aurait mérité). Au fil des ans, la pochette intérieure devient partie intégrante de certains disques, portant les paroles des chansons ou des photos de l’artiste. Et lorsque ce n’est pas le cas, elle peut servir de catalogue en portant les reproductions de disques disponibles à la même époque sur la même firme.
1948... En règle générale, le principe d’audition du disque se résume à un double déplacement: celui de la pointe de lecture au creux du sillon, qui s’effectue simultanément à la rotation du disque. On imagine cependant de supprimer l’un des deux mouvements, en inventant un système de lecture mobile, se déplaçant sur disque fixe. C’est, pour rendre plus attractif cette invention à priori sans grand intérêt, un gadget, un jouet tout à fait séduisant: un petit camion, en carton, à construire soi-même, muni d’un petit moteur et d’une pointe de lecture, le carton du “corps” du camion servant de membrane. Il suffit de poser le petit objet sur le bord du disque, et le laisser suivre le sillon, pour écouter le disque. Le procédé revient sur le marché à la fin des années 70, sous forme, cette fois, de jouet déjà tout construit en matière plastique, sous le nom de “soundwagon”. Cette idée apparemment sans lendemain méritait d’être creusée: elle donnera en effet naissance au contacteur, commercialisé dans les années 90 par la société Bordas, à l’usage de ses passionnantes encyclopédies, appareil astucieux et fort pratique qui permettait ainsi d’avoir sous la main de quoi écouter des documents sonores en rapport avec les chapitres étudiés; les disques sont encartés à l’intérieur de l’encyclopédie (l’idée du livre sonore n’est cependant pas nouvelle; pas plus, d’ailleurs, que celle dumagazine sonore).
Les magazines sonores
Les livres sonores, relativement faciles à trouver dans le monde occidental des années 50 et 60, étaient principalement confectionnés à l’intention du public infantile. Ces livres ont, plus ou moins, les dimensions d’un 45 tours courant... mais, bien sûr, de forme carrée ou rectangulaire, plutôt que ronde. Il s’agit donc d’un petit livre d’environ 17 à 20 centimètres de côté, et muni d’une couverture cartonnée enduite d’une pellicule de vinyle. Bien entendu, le livre est percé d’un trou qui permettra de la placer sur un tourne-disques.
Les magazines sonores, quant à eux, utilisent le principe du disque flexi; peu coûteux, il peuvent être envoyés par la poste, et devenir ainsi un fabuleux objet de promotion et de publicité, comme SONORAMA, THEATRORAMA et CUISINORAMA en France, ou KRUGOZOR en URSS. Krugozor ainsi que son concurrent C&AAA: Club & Amateur Art Activities, offrent chaque mois ou chaque quinzaine, depuis les années 50, plusieurs flexi sur vinyle bleu ; la majorité sont consacrés aux évènements qui agitent le monde soviétique, mais, dans chaque numéro, une ou deux faces de flexi sont dévolues à la musique. En France, la première expérience de magazine sonore d’information et de divertissement est très certainement “Les archives sonores du monde”, publié par la firme Prétoria, et commercialisé dès janvier 1958, soit plus de six mois avant le premier numéro de SONORAMA, revue pourtant beaucoup plus connue.
Quelle vitesse de rotation adopter ?
A la fin des années 40, Deutsche Grammophon inaugure le pas variable, procédé permettant de resserrer le sillon durant un passage quasiment silencieux; ce petit "truc" à pour conséquence d'augmenter la durée d'une face de disque. On le voit, c'est l'arrivée progressive de la HI-FI (Haute-Fidélité) qui sera plus tard l'argument de vente des fabricants d'équipement, une fois que la majorité des foyers possédera un pick-up et que se posera la question de leur en faire acheter un nouveau plus performant!
Officiellement, le microsillon commence son règne en 1948. Mais les techniciens ont du mal à définir une vitesse de rotation idéale; en conséquence, ce seront deux vitesses qui seront retenues, celle de 33 tours et un tiers, mais aussi de 45 tours à la minute (des expériences sans grand lendemain seront également tentées à la vitesse de 16 tours à la minute). Si l’on veut être extrêmement précis, il faut savoir que ce nous appelons couramment un “33 tours” tourne en réalité à 33,333T; le “16 tours”, quant à lui, est doté d’une vitesse de rotation de 16,666 t/mn. Cette vitesse, qu’on aurait tort aujourd’hui (depuis le temps qu’elle est abandonnée!) de croire purement expérimentale, connut une commercialisation, certes modeste, au milieu des années 50 et au début des années 60 (en Angleterre, par exemple, la célèbre firme Pye lança sa filiale Nonesuch Records, spécialisée dans les 16 tours, en 1961).
Certaines firmes n’hésitaient pas à présenter leurs produits comme des “vrais” 16 tours, par opposition au 16 tours “ordinaire”! La différence réside dans la vitesse utilisée au moment de la gravure des matrices: le “vrai” 16 tours a véritablement été enregistré en 16 tours, tandis que son aimable concurrent, moins rare, a été gravé en 33 tours à partir d’une bande magnétique défilant à double vitesse. Mais il n’y a guère lieu d’argumenter à l’infini, en raison des faibles performances musicales du 16 tours. Cependant un 16 tours 30cm permettait de collecter deux heures complètes d’enregistrement, et les chercheurs ont œuvré pour pouvoir offrir un résultat optima (la firme Paz & Visseaux, notamment, précisait dans la notice d’utilisation de son Sélectrophone qu’elle l’équipait d’un moteur hytérésis parfaitement équilibré, d’un bras de lecture spécialement léger et d’un stylet spécial 16 tours). Les firmes discographiques, néanmoins, se montrèrent hésitantes: pourquoi offrir au consommateur, sur un seul disque, ce qu’il peut acheter sur deux disques?
Le but à atteindre étant de mettre le plus de musique possible sur une seule face d'un disque, on recense même une vitesse de 8 tours à la minute, à l'occasion de la gravure d'un microsillon destiné aux aveugles, afin de leur permettre de rester le plus longtemps possible assis dans leur fauteuil (deux heures par face) sans avoir à se lever pour retourner le disque, manipulation délicate pour un non-voyant. Une vitesse de rotation trop lente crée, c'est inévitable, un “pleurage” rapidement insupportable pour les mélomanes. Mais, en revanche, le procédé reste acceptable pour la reproduction de sketches, de discours, de pièces de théâtre ou toute autre forme d'expression orale parlée. Quoiqu'il en soit, il fallut se rendre à l'évidence: plus on augmente la durée d'écoute d'une face de microsillon, plus les sons sont comprimés, et plus l'on perd de qualité sonore.
Cette constatation acceptée, il ne faut cependant pas croire que les chercheurs ou les ingénieurs du son baissèrent les bras: aux Etats-Unis, dès 1970, certains disques pirates offraient des faces de trente minutes... Puis, en Grande-Bretagne, la firme Pye inaugura une série intitulée "Golden Hour" qui, comme son nom l'indique, offrait une heure de musique constituée de "gold" (tubes du passé). Enfin, dans les années 70, un chercheur français, Monsieur E. Rabe, mit au point un procédé qu'il baptisa le système trimicron et qui permettait d'encore doubler la durée possible d'une face, parvenant à l'incroyable résultat de deux heures sur un seul microsillon 33 tours! Le sigle "MDR" fut adopté,correspondant à "Magnetic Disc Recording", et le résultat, dont peu d'entre nous ont entendu parler, fut appelé le 33 tours triple durée. Et pour prouver (ou tout au moins tenter de prouver) la perfection de son procédé, Monsieur Rabe, avec beaucoup de courage, s'attaqua, non pas à des morceaux parlés, mais à des œuvres de musique classique: le catalogue MDR comprenait les noms prestigieux de Beethoven, Strauss, Schubert, Mozart... Il était malheureusement trop tard pour sauver le vinyle qui allait bientôt disparaître au profit du CD.
1949... Le 45 tours commence à se propager aux U.S.A., mais il lui faudra plusieurs années pour traverser l'Atlantique. En Grande-Bretagne, par exemple, il n'apparaît que fin 1952 sur la marque E.M.I. et fin 1954 sur Decca.
En France, le premier 45 tours est pressé en 1951; il s'agit de celui du Rico’s Creole Band, sur label Voix de son Maître. Dès l'apparition du microsillon sur son territoire, le marché du disque, dans notre pays, se met en marge en publiant des super 45 tours, alors que la majorité des nouveautés publiées dans le reste du monde le sont sur 45 tours simple, ou “single”. La différence entre les deux est capitale: le super 45 tours, ou "E.P." (Extended Play) de durée prolongée (par opposition au 33 tours dit de longue durée) comporte quatre chansons, et se trouve livré sous une somptueuse pochette illustrée, glacée et en couleurs, tandis que le "single" , ou "S.P." (Single Play) ne comporte que deux chansons, et ne rejoint les bacs des disquaires que sous habillage standard. L'attrait des pochettes françaises sophistiquées fut un élément commercial déterminant lorsqu’il s’agit d’inciter les consommateurs à délaisser le 78 tours au profit du microsillon. Quel amateur ne souhaiterait, en effet, "refaire" sa collection, délaissant ces lourds et fragiles disques de cire ou d’ardoise aux médiocres prouesses sonores, pour ces rutilants "E.P." ornés du portrait de leur chanteur préféré. Nul n'oubliera jamais les merveilleux clichés réalisés, entre autres, par le célèbre studio Harcourt.
Il existe deux sortes de 45 tours: ceux à "petit trou" (ou petit centreur), et ceux à "grand trou" (ou grand centreur). Il était toutefois dommage que, pour de bêtes raisons techniques, le consommateur ordinaire ne puisse pas utiliser ces deux sortes de 45 tours sur son électrophone. En conséquence on commercialisa rapidement des centreurs amovibles. Il en existe deux catégories, selon qu'il soit adaptable au disque (auquel cas, il y a tout intérêt à acheter autant de centreurs que compte de disques à larges trou la collection), ou au tourne-disque. Dans ce second cas, l'utilisateur l'achetait à la pièce, voire en double. Et bien sûr il existait une solution alternative: choisir de fonctionner délibérément avec un gros centreur, quelque soit le disque*.
1950... Arrivée sur le marché d'un gadget, frivole comme il se doit, et tout à fait mignon: le disque à tourner au doigt! Il s’agit, le plus souvent, de cartes de vœux sonores. Le disque est mobile, et muni d’une encoche permettant de placer le bout de l’index. Reste ensuite à faire tourner le disque, avec l’index, autour de son axe, de manière régulière, et, si possible, à la vitesse approximative de 45 tours à la minute.
1950... La firme Pathé annonce qu’elle fabrique 4,5 fois plus de disques qu’avant la guerre. Des efforts, néanmoins, restent à faire dans certains pays. En France, notamment, le marché n’est que d’un seul disque par an et pour huit habitants, tandis qu’en Scandinavie, par exemple, il est de un disque par an pour deux habitants (soit quatre fois plus). Les premiers microsillons, en France, ont été importés par Armand Barrigaud, fondateur de la firme Decca-France. Quant aux premiers microsillons 33 tours en importation américaine, on les doit à Edouard Ruault, alias Eddie Barclay. Une histoire qui mérite d’être contée...
Après la Libération, Eddie Barclay, pianiste, monte un petit orchestre de jazz avec, notamment, Stéphane Grapelli, Boris Vian, et... un ancien tromboniste de Glenn Miller. Des militaires américains toujours en poste à Paris se lient d’amitié avec Eddie; l’un d’entre eux, de retour au pays, informe Eddie de l’existence d’un nouveau disque tout à fait révolutionnaire: le microsillon. Eddie, qui s’était déjà lancé dans le commerce de disques de jazz, décide de se rendre compte sur place. Avec son épouse d’alors, Nicole, il rencontre les inventeurs de ce procédé, et emporte une centaine de matrices avec lui pour les presser en France. Conscient du potentiel commercial de sa trouvaille, Barclay est également conscient de la principale difficulté: comment faire presser ces disques? Il prend contact avec toutes les firmes françaises de 78 tours, mais réalise rapidement qu’il dérange! Le marché du 78 tours se portait bien, il n’y avait pas besoin de le révolutionner. Une seule firme acceptera de lui rendre ce service: Pathé. Non pas que l’idée l’intéresse, mais par reconnaissance et par gratitude: pendant la guerre, le frère d’Eddie, Paul Ruault, avait permis à l’usine de Chatou d’être ravitaillée en charbon! La bonne volonté ne résout pas tous les problèmes: il fallait, en effet, transformer une presse à 78 tours en presse à microsillon. Manœuvre délicate, lorsqu'on sait que la plupart des matrices d’Eddie furent endommagées (ceci explique aux collectionneurs pourquoi les premiers microsillons Barclay portaient des faces A qui n’avaient aucun rapport avec leurs faces B respectives!).
Autre difficulté à aplanir: une fois que les disques étaient pressés, à qui les vendre? En ces années 1950/ 1951, il n’y a, en effet, en France, que, environ, 2000 tourne-disques capables de jouer des microsillons. En revanche, il s’agit d’un public d’avant-garde et de passionnés qui a tant de mal à se fournir en microsillons qu’ils achètent systématiquement tous ceux qu’ils trouvent. En conséquence, avec un tirage de 2000 exemplaires de chaque disque, Barclay, qui fait ses livraisons à bicyclette, est sûr de tous les vendre, ce qui représente une très rentable opération. A tel point qu’en 1952 il peut faire l’acquisition d’une camionnette.
Mais bientôt Barclay n’aura plus l’exclusivité des microsillons: en effet, les fabricants proposent désormais des machines capables de jouer aussi bien l’antique 78 tours que le sémillant microsillon. Il faut pour cela proposer les trois ou quatre vitesses usuelles (78 tours, 45 tours, 33t/mn et accessoirement 16t/mn) et des têtes de lecture amovibles ou combinées.
En France, outre les “grandes” firmes, bien souvent filiales de multinationales déjà sur le marché, on voit arriver un petit fabricant qui va bouleverser nos habitudes: Marcel Teppaz. Ce désormais célèbre industriel lyonnais a démarré dans les affaires comme simple mécanicien en 1931. Spécialisé en radio-électricité, il imagine un modèle portable, à la portée de toutes les bourses, aux coloris joyeux et à la ligne aguichante. Dans les années soixante, il se retrouve à la tête de trois usines. En 1962, des mains du ministre Valéry Giscard d’Estaing, il reçoit l’Oscar de la Meilleure Entreprise Exportatrice française. Hélas, il meurt en 1964, seulement âgé de 56 ans, laissant derrière lui des millions d’adeptes du “Teppaz”.
Les années 60, souvent qualifiées du terme sympathique d' "années transistor" furent tout aussi bien, en France, les "années Teppaz", tant ce petit électrophone obtint de succès auprès des jeunes et de nombreux adultes (en Angleterre, l’engin équivalent le plus répandu se nomme la Dansette). Serait-il hardi, d'ailleurs, d'avancer la théorie selon laquelle ce besoin de bouger, de déplacer le disque et son support, accompagne l'arrivée de rythmes plus sautillants dans le monde de la musique populaire: en toute évidence, on n'écoutait pas de la même manière les 78 tours d'opéra, de musique classique ou de textes parlés, que l'on écoute désormais des microsillons de rumba, de java, de cha-cha-cha ou surtout de rock'n'roll! Dans son sillage, on ne compte pas moins d'une trentaine de danses nouvelles destinées à le supplanter dans le coeur des amoureux du rythme; et si, effectivement, le twist et, dans une plus faible mesure, le madison, connurent un succès certain, on ne peut guère en dire autant du limbo, du mashed potatoes, du locomotion, du slop, du popeye, du hully-gully, du T'bird, du malibu, du snap, du letkiss ou du watusi!).
En poussant encore le raisonnement jusqu'au courant musical suivant, on peut penser que la pop music a conquis un public bien plus vaste que le rock'n'roll par la capacité de pouvoir déplacer ses véhicules: le disque de vinyle, réputé incassable, est bien plus mobile que le 78 tours... et le transistor se déplace, alors que le poste de T.S.F. trône dans le salon familial ("C'est un truc en or, ce transistor", chantait le groupe français des Pingouins!).
Conscientes de l'existence d'un vaste marché potentiel, les compagnies discographiques, dans leur ensemble, permettent rapidement au consommateur d'acquérir toute nouvelle parution aussi bien sur 78 tours que sur 45 tours. Pour des raisons de commodité, il est évident que c'est la deuxième possibilité que choisissent les amateurs de musique, mais comme on n'est pas encore véritablement rentré dans la "société de consommation", les détenteurs d'antiques tourne-disques ne sont pas bousculés par l'urgence de changer leur équipement... d’autant que l’on parle de plus en plus d’un nouveau procédé, qui va à nouveau bouleverser le marché: la stéréophonie, procédé permettant d'écouter la musique "en relief"!
La stéréophonie
Aujourd'hui, la stéréo est omniprésente, alors que la quadraphonie, ou tétraphonie, connaîtra l'échec (ce bon La Palisse aurait dit "Normal, l'homme a deux oreilles, pas quatre"). Il ne faut pas occulter toute la magie de cette invention qui mérite qu'on relate son histoire dans le détail.
La stéréophonie fait véritablement son entrée dans le monde du disque à la fin des années 50, alors que ses principes de base étaient posés depuis déjà plusieurs dizaines d'années.
Le but à atteindre, bien évidemment, est de tenir compte, puis de reproduire, les différences perçues d'une oreille à l'autre, en raison de leur emplacement légèrement différent par rapport à la source d'émission sonore.
Clément Ader, célèbre aviateur et, de surcroît, fin bricoleur, réalisa les premières démonstrations stéréophoniques en 1881 et 1889, à l'occasion d'expositions de renom. L'idée fait son chemin... lentement: elle revient entre 1929 et 1935, à l'occasion d'enregistrements d'orchestres classiques ou de jazz par les firmes H.M.V. et R.C.A. réalisés en disposant deux micros à des emplacements différents face à l'orchestre, et en gravant, non pas une cire stéréophonique, mais deux cires différentes: à ce moment précis on sait donc enregistrer en stéréo (car on dispose de deux enregistrements mono différents et complémentaires), mais on ne peut pas reproduire l'effet obtenu. Etant donné qu'à l'époque il n'est même pas possible de faire fonctionner deux phonographes de manière synchrone, les disques ne furent pas commercialisés, ou, dans le meilleur des cas, les paires de disques furent vendues séparément! Cette idée, astucieuse pour l'époque, sera malheureusement réutilisée dans les années 60 pour mettre sur le marché, de façon peu honnête, de pseudo albums stéréo à partir d'enregistrements mono. Inutile de dire que ce genre de procédé déplaît totalement aux mélomanes et aux collectionneurs.
1931... A.D. Blumlein de la toute jeune firme E.M.I. avait déposé un brevet pour une technique d’enregistrement stéréophonique.
Un grand pas en avant est effectué, vers 1936, lorsqu'on parvient, cette fois, à graver les deux signaux sonores différents dans un seul et même sillon. Mais on ne disposera pas d'un résultat satisfaisant tant qu'on aura pour support les matériaux couramment utilisés pour la fabrication des 78 tours; en un mot comme en cent, il n'y aura pas de stéréo "correcte" tant qu'on n'utilisera pas le vinyle. Dès lors, tout s'enchaînera: 1946, premiers disques vinyle... 1948: premiers microsillons... Notons au passage l’effort tout particulier de certaines salles de cinéma qui, dans le cadre de projections dites de cinérama, proposaient dès 1952 un “son multipistes”.
1957... Première démonstration publique, à Los Angeles, du disque stéréophonique. L’effet le plus saisissant est obtenu avec l’enregistrement d’un match de ping-pong, permettant véritablement une séparation très distincte des sons entre la droite et la gauche.
Bien qu'aujourd'hui fort peu de monde choisisse délibérément d'écouter en mono, la stéréo mettra cependant une bonne vingtaine d'années à s'imposer; en Grande-Bretagne, par exemple, on continuera à confectionner indépendamment des exemplaires mono et stéréo jusqu'à 1967. Il est curieux de constater que la stéréo aura bien longtemps un petit côté "aristocratique": le procédé restant longtemps strictement confiné au 33 tours. Et les premiers 33 tours stéréophoniques édités se cantonneront à des genres "respectables": musique classique...ou, lorsqu'on aborde le monde de la variété, des artistes comme Frank Sinatra. Cela s'explique d'ailleurs fort simplement: pour de strictes raisons économiques, peu de gens peuvent se permettre de posséder un coûteux équipement (et deux hauts-parleurs, une révolution!). Citons les propos de Mike Vernon, célèbre producteur de blues britannique, concernant l'album "Bluesbreakers, John Mayall and Eric Clapton":
L'album était destiné à être écouté en mono; à l'époque, le blues, le rock'n'roll et le rhythm'n'blues s'écoutaient en mono !
Le fait est que ce 33 tours ne fut publié en stéréo en Grande-Bretagne que trois ans après sa publication en mono! Aux Etats-Unis, en revanche, les deux éditions sortirent simultanément en 1966, ce qui indique clairement que le "consommateur" américain était déjà en avance sur son homologue européen.
Retour de manivelle… Tandis que l'album mono aura totalement disparu du marché en 1969, on assistera à son retour sporadique quelques années plus tard, de la part d'une poignée d'"allumés nostalgiques", qui souhaitent réentendre le son de leurs 15 ans; c'est d'abord le cas du célèbre producteur américain Phil Spector qui lance la campagne "BACK TO MONO", suivi dans sa démarche par des labels de disques britanniques comme Chiswick et Stiff, firmes qui poussèrent la nostalgie jusqu'à publier des disques sur 25cm, le format ayant lui aussi disparu bien avant la gravure mono.
Ce n'est qu'à partir de l'été 1968 que le 45 tours stéréophonique commence à sérieusement se généraliser. Pourtant, des tentatives avaient eu lieu bien avant: témoin ce "EP" de Cliff Richard paru en 1960 en Grande-Bretagne (Expresso Bongo, référence ESG 7783), celui de Richard Anthony paru en France en 1963 sous la référence Columbia FESD 1380, et ceux du groupe suédois des Spotnicks qui sortaient parallèlement aux exemplaires monophoniques et sous une référence totalement différente.
Il n'est pas exagéré de penser que le psychédélisme a favorisé la pénétration du marché par la stéréo. En 1967, à Londres, presque en même temps et dans les mêmes studios d'Abbey Road, les Beatles et Pink Floyd enregistraient des effets sonores qui ne prenaient leur dimension qu'en stéréo (curieusement, les artistes eux-mêmes n'ont assisté et participé qu'aux mixages mono, laissant à leurs ingénieurs du son le soin de réaliser les mixages stéréo! On raconte que George Harrison, des Beatles, s'avoua déçu par la publication, sur disque compact, du chef d'œuvre du groupe, Sergeant Pepper's Lonely Hearts Club Band... mais il reconnut que, vingt ans après sa publication, il l'écoutait, pour la première fois, en stéréo!)
Quelques mois plus tard, Jimi Hendrix ouvrait son second album, Exp: Bold As Love, sur le décollage d'une soucoupe volante; bien calé entre les deux enceintes, l'auditeur percevait réellement le bruit des réacteurs qui démarraient au ras du sol, tournaient autour de lui et s'élevaient dans le ciel! Cet effet de son qui monte en spirale est évidemment inopérant en monophonie.
Durant cette période de transition, les fabricants de disques, désireux de satisfaire le plus grand nombre de consommateurs sans pousser trop loin l'investissement consacré à la reproduction sonore, vont "inventer" des termes fourre-tout pour commercialiser des disques qui ne sont, ni franchement mono, ni franchement stéréo! C'est ainsi que l'on verra fleurir la duophonie, la gravure universelle... procédés étranges qui présentaient l'intérêt de pouvoir être écoutés sur n'importe quel électrophone sans trop se poser de question! Dans un registre différent, car, cette fois, empreints de bonne volonté, certains ingénieurs du son ont voulu offrir à l'auditeur le maximum des possibilités de la stéréo par une trop grande séparation des canaux. Ce clivage gauche/droite, sans le moindre mixage, permet, effectivement, de pouvoir écouter, indépendamment, soit les voix, soit les instruments... mais cela n'est guère agréable à l'oreille. Pourtant, même des professionnels chevronnés sont tombés dans le piège, et certaines premières éditions des compilations dites Double rouge (1962-1966) et Double bleu (1967-1970) des Beatles ont souffert du procédé, comme le souligne avec beaucoup d'humour Michel Gosselin dans La Vie du Collectionneur, n°448 du 14 février 2003:
Les compilateurs ont gravé plusieurs titres en fausse stéréo, avec l'orchestration sur une voie, et la partie vocale solo sur l'autre, ce qui fait qu'en basculant la "balance" de notre chaîne sur un seul côté, on peut chanter en karaoké, accompagné par les vrais Beatles !
1965... Ray Dolby imagine un système susceptible de réduire le bruit de fond de tous les enregistrements. Mais la réduction maximum ne consisterait-elle pas en un disque de silence total? Et bien, à l’intention des habitués des cafés qui en ont assez d’être agressés par un juke-box de plus en plus envahissant, on confectionne un single de silence.
Pour le prix d’une sélection ordinaire, le consommateur peut s’offrir trois minutes de calme! Le disque silencieux réapparaît sporadiquement au fil des ans. C’est d’abord en 1978 une version de ce classique des classiques au hit-parade des chants de Noël... Silent night (normal!); puis, en 1981, un disque controversé: peu de temps avant les élections présidentielles françaises, on pouvait, en effet, se procurer un 45T portant un beau portrait de VGE et intitulé les "Pensées profondes de Valéry Giscard d'Estaing"; ces pensées profondes se résumaient à trois minutes de silence, réellement gravées dans le vinyle. Il ne s'agissait pas d'un disque vierge, on avait véritablement pris soin d'enregistrer le silence. Plus récemment, à une époque où le silence semblait avoir été mis hors-la-loi par la FM, l'admirable Muriel Moreno, chanteuse du duo Niagara, offrait deux minutes de silence au coeur du dernier titre de son album intitulé "Toute Seule" (1996).
1966... "Salut les Copains" et Banania mettent sur le marché le Tournidol, centreur pour 45 tours constitué d'une statuette en couleurs d'une de nos idoles (la série est inaugurée avec Sheila, Claude François, Hugues Aufray, Petula Clark et Hervé Vilard), tandis qu'une société concurrente, "Productions V", propose les micro-bustes de vos idoles préférées (Sheila, Claude François, Lucky Blondo et Eddy Mitchell). Or ce genre de petits objets destinés à tourner en même temps que le disque et jouant simultanément le rôle de centreur existait depuis 1915 ; à l'époque, en règle générale, il s'agissait de petites figurines mais on vit même un sapin de Noël rotatif !
1967... Aux USA, la firme Philco commercialise des disques d'un diamètre de 10 centimètres, flexibles, donc extrêmement légers, distribués à l'entrée des autoroutes à péage et portant chacun deux succès populaires du moment, dont Light My Fire des Doors ; profitant de la mode du mot "hippie" cette même année, l'associant à l'idée de "disque de poche" (pocket), Philco nomma hip-pocket ces disques aujourd'hui fort recherchés par les collectionneurs.
La quadraphonie, un procédé mort-né
Même si, en 1973, le groupe de pop britannique les Who publiera un double 33 tours intitulé Quadrophenia, le premier disque pop quadraphonique est commercialisé en novembre 1970; il s'agit de Sunflower des Beach Boys, et il est accompagné d'une notice expliquant comment disposer correctement la paire de baffles supplémentaires (la quadraphonie exige quatre hauts-parleurs) pour obtenir un véritable environnement sonore intégrale. L'impact médiocre de ce procédé sophistiqué sur le grand public est tel qu’on peut aujourd’hui assimiler la tétraphonie à un simple “gadget”. L’échec commercial de ce procédé pourtant fort séduisant peut s’expliquer simplement par le mode de vie du consommateur de base. La disposition correcte de quatre baffles autour d’un fauteuil ou d’un canapé implique que l’auditeur possède un salon assez vaste. Or la plupart des logements (principalement les appartements citadins) ne sont pas assez vaste pour un tel luxe... sans parler de nos amis japonais qui, on le sait, résident dans des logements extrêmement resserrés. Considérant que les Japonais représentent une énorme part du marché potentiel de la haute-fidélité, on comprend alors qu’ils ont été dans l’impossibilité d’acquérir cet équipement qui, pourtant, les aurait comblés d’aise.
1972... La Terre envoie un message à l’univers. La sonde américaine Pioneer X a pour mission d’atteindre Jupiter et de nous en transmettre des photos. Une fois sa tache remplie, elle ne reviendra pas sur terre, mais, au contraire, continuera d’explorer l’infini. Au cas où elle rencontrerait, sur sa trajectoire, des être vivants évolués, elle est porteuse d’une plaque métallique inaltérable portant des informations sur la vie terrestre. Jusqu’ici, nous n’avons guère eu de réponse... mais l’idée fit son chemin puisque cinq ans plus tard les sondes Voyager I et II quitteront notre atmosphère (respectivement le 20 août et le 5 septembre 1977) à destination de Jupiter et Saturne, emportant un vidéo-disque d’une durée de deux heures, supervisé par les techniciens de la NASA. Au programme de cet enregistrement bien particulier, des chants d’oiseaux, de baleine et autres animaux... le bruit du vent et du tonnerre... un message d’amitié traduit en plus de soixante langues... et des échantillons musicaux de toutes cultures et tous styles.
1973... Les humoristes britanniques Monty Python commercialisent un disque à double sillon. L'idée sera reprise à la fin des années '70 par le groupe "M" pour son tube Pop Music. Une aimable plaisanterie à l'attention de l'auditeur tranquillement installé chez lui... mais un casse-tête pour les techniciens de radio: un disque à double sillon est doté de deux chansons différentes, positionnées sur la même face du disque; en conséquence, lorsque vous posez la pointe de lecture sur le disque, vous ne pouvez pas savoir à l’avance quelle chanson vous allez entendre! Dix ans plus tard, Kate Bush reprend le procédé pour The Sensual World et Michael Jackson pour The Way You Make Me Feel.
La crise du disque, déjà !
Quitte à prendre le risque de propager un lieu commun, reconnaissons que disque et musique populaire, depuis la fin du 19è siècle, sont indissociables. On dit parfois que Caruso a “lancé le disque”; il est vrai que c’est grâce à lui que les véritables amateurs de musique, jusqu’alors méfiants, se sont laissés séduire par cette forme d’emprisonnement du son qu’est le disque. En contrepartie, le disque a permis à Caruso de devenir la première vedette internationale de la chanson.
Depuis Caruso (premier artiste à vendre un million de disques, et ce dès 1903), grâce à la musique populaire, les chiffres de ventes de disques et d’équipement phonographique n’ont cessé de battre leurs propres records:
- En 1915, Alma Gluck vend un million d’exemplaires de Carry Me Back To Old Virginia... - En 1919, Paul Whiteman vend un million d’exemplaires de Whispering... - En 1942, on parle de “disque d’or”, et on en remet un à Glen Miller pour Chattanooga Choo Choo. - Viendront ensuite les records de 45 tours des années 50: Rock Around The Clock (Bill Haley) 15 millions d'exemplaires, Diana (Paul Anka) 9 millions, ainsi que les premiers 33 tours vendus à plus d’un million d’exemplaires (notamment My Fair Lady en 1956). - En 1960, It's Now Or Never (Elvis Presley) se vend à 9 millions de 45 tours. - En mars 1964, le premier album américain des Beatles, Meet The Beatles, se vend à 3,6 millions d'exemplaires... - Alors que 1932 avait été une année catastrophique pour l’industrie discographique américaine, 1966 pulvérise tous les records (un milliard de dollars de chiffre d’affaire).Dès 1970 (sans doute dans la crainte du fameux "choc pétrolier" alors prévisible, et qui fera bigrement monter le prix de tous les produits qui en sont dérivés, dont le vinyle), l'industrie du disque s'apprêtait à traverser une crise grave; il fallait donc trouver des idées, ou des modes nouvelles pour dynamiser le marché.
Pour les idées... la plus simple et la plus efficace ne consiste-t-elle pas à faire des économies ? Un petit tour de vis sur le plan des cadeaux promotionnels qui, reconnaissons-le, furent longtemps somptueux! Et moins de vinyle dans le disque, c'est aussi une idée: RCA invente le procédé Dynaflex qui se définit ainsi:
Vous tenez en mains un disque Dynaflex; il est plus mince, plus fin que tout autre disque que vous ayez jamais possédé. Il est aussi supérieur sur de nombreux points à tous les autres disques que vous avez jamais possédés. Il est dégagé d'imperfections; il est moins susceptible de se gondoler, et sa durée de vie sera prolongée par rapport à celle des disques conventionnels; c'est le DISQUE DE DEMAIN, et il est à vous dès AUJOURD'HUI.
En réalité, l’affirmation concernant l’impossibilité du disque de se gondoler ne manque pas d'humour: les disques en question sont si minces que, dans les bacs des disquaires, les exemplaires neufs seront bien souvent déjà gondolés avant même la première écoute! Il est possible en effet que la cellophane qui scelle le disque à la sortie d'usine joue un rôle bien navrant dans l'aspect du disque lorsqu'il arrive sur la platine.
Paradoxalement, les économies faites sur les coûts de fabrication, n’empêchent pas le prix de vente du disque d’augmenter. Pour ne pas décourager définitivement le consommateur, il s'avérait nécessaire de trouver des solutions attractives. Ce sera chose faite avec, d’une part, le disque en couleur (vinyle coloré), et, d’autre part, la mode du disco qui va surmultiplier les ventes.
Les disques colorés
Occasionnellement, le disque en couleur fait de timides apparitions au cours des années 60. D'abord au Japon et dans certains autres pays d'Asie, où systématiquement la plupart des disques sont pressés sur vinyle rouge; d'où l'intérêt, pour le collectionneur, de posséder, par exemple, tous les 45 tours et 33 tours originaux japonais, chinois… des Beatles sur label Odeon et disque rouge. Aux Etats-Unis, la même couleur sera utilisée, entre autres, pour les 45 tours hors-commerce Columbia de Bob Dylan, aujourd'hui rarissimes (et donc fort coûteux!), ainsi que pour un hit daté: Surfin' Hootenanny de Al Casey (version originale du tube de Johnny Hallyday, Les guitares jouent). Son rythme endiablé et sa guitare torride donnèrent l'idée de le publier sur disque en couleur accompagné du message accrocheur: "Un disque tellement chaud qu'il est encore rouge!". Dans la foulée, le label de disque en question, Stacy Records, publie ensuite un 33 tours du même artiste, cette fois sur vinyle bleu.
Ce n'est qu'au cours des années 70 que l'on voit revenir (et cette fois, en force) le vinyle coloré; la mode est lancée aux Etats-Unis dès 1971 par la firme Trade Mark of Quality, un label de disques pirates (voir ce chapitre), puis récupérée par les firmes officielles, en Europe comme en Amérique. En France notamment le public semble assez sensible à cette touche de gaieté: outre les véritables nouveautés, de Chantal Goya à Donna Summer en passant par Abba (très en vogue à l'époque), les firmes discographiques saisissent l'occasion de rééditer à peu de frais certains fonds de catalogue toujours populaires: Jacques Higelin, Tino Rossi, Pink Floyd, les Beatles... L'effort n'est pas négligeable, puisqu'il permet de toucher deux catégories d'amateurs: le plus jeune, qui découvre l'artiste, et son aîné qui n'est pas mécontent de s'offrir, cette fois sur disque coloré, l'un de ses disques préférés dont l'édition originale sur vinyle noir commençait à gratter sérieusement.
Quant aux modes nouvelles... Le "truc" du vinyle coloré ayant fait long feu, les décideurs devaient trouver mieux. La date fatidique de 1977 approchait ; on n'allait pas tarder à célébrer le centième anniversaire du disque. L’occasion rêvée pour mettre à nouveau sur le marché le picture disc et le shape disc (voir notre chapitre consacré aux disques illustrés). Mais l’industrie du disque fut surtout sauvée par l'arrivée du disco.
Une mode, un ouragan : la musique disco
A L’origine, on désigne par “disco” cette musique spécialement destinée à faire danser le public des discothèques, d’où le terme raccourci de “disco”. Mais bientôt la musique disco va passer la barrière de ces oasis nocturnes pour envahir les radios qui, du coup, vont générer de vastes succès populaires. Le succès du disco dès 1975 est comparable aux coups de fouets économiques connus dans les années 50 avec le rock'n'roll, et dans les années 60 avec la pop music. Indiscutablement, chacune de ces vagues, issues du show-business anglo-saxon jamais à court d'idées, dépose dans son sillage des stars planétaires: Elvis Presley pour le rock’n’roll, puis les Beatles pour la pop music, et enfin Michael Jackson pour la dance music. Chacune de ces idoles génère des dizaines, des centaines d'imitateurs (plus ou moins talentueux, certes, mais contribuant néanmoins à l'activité de l'industrie discographique).
La disco eut une autre conséquence, sur le marché du disque, imprévisible celle-là: elle conduisit à la généralisation d’un format jusqu’alors inusité: le maxi-single, ou “45 tours géant”, que les anglo-saxons désignent couramment de “twelve-inch record” (en abrégé, 12”, qui signifie “douze pouces”, c’est-à-dire 30cm). Le marché, en effet, ne connaissait jusqu’alors que des 45 tours de petit format (17cm de diamètre); or (toujours à l’occasion des cent ans du disque), on inaugura le 45 tours grand format, aux performances sonores nettement supérieures, particulièrement en ce qui concerne l'usage des basses. Le but est de pouvoir augmenter considérablement le volume sonore au moment de la gravure; le sillon étant plus profond, le bras de lecture ne risque pas de sauter à cause de l’excès de volume.
Dans un premier temps, les maxi-45 tours furent réservés aux professionnels, notamment les programmateurs des boîtes de nuit, puis, rapidement, on les trouva en vente chez les disquaires. Outre la qualité sonore, le maxi-45 tours présente bien souvent l’avantage de proposer des versions rallongées de plusieurs minutes de titres familiers (un record, sans doute: les 11’45” de Rockollection par Laurent Voulzy). Désormais, le consommateur se voit proposer un même titre, sur single ordinaire (dans une version d’une durée approximative de trois minutes), et sur maxi-single (dans une version rallongée, ou remixée, de cinq, voire six ou sept minutes). Avec la disco va également commencer à se propager un nouvel outil promotionnel, visuel celui-là : le vidéo clip. En effet, le grand public s'est emparé du magnétoscope qui lui permet de passer et repasser sur son téléviseur les performances de ses chanteurs préférés. Très rapidement, les artistes ne pourront plus venir strictement se présenter sur le petit écran avec juste leur instrument de musique ; le vidéo clip exigera une chorégraphie, une mise en scène, tout un travail proche du cinéma. A peine la vidéo cassette (VHS) commence-t-elle à se propager que les professionnels envisagent déjà son remplacement, à l'usage, d'abord, des amateurs de musique, mais aussi, fort rapidement, des cinéphiles : il s'agira du vidéo disque.
1975... commercialisation des premiers disques vidéo, dont plusieurs systèmes sont au point. Outre le disque vidéo photographique à l’étude aux U.S.A., et le vidéodisque holographique que l’on tentait de perfectionner au Japon, on retient surtout quatre principaux systèmes : T.E.D., Selectavision R.C.A., V.L.P. et M.D.R.
Le grand public, déjà accoutumé à la cassette VHS (PAL, SECAM ou NTSC) ne semble pas se passionner pour ces avancées technologiques ; en revanche, ces procédés annoncent l’arrivée d’un nouveau support discographique, le CD ou disque compact qui utilise particulièrement les caractéristiques du V.L.P. mis au point conjointement par Philips, Thomson et C.S.F., et qui sont les suivantes : - lecture optique par laser hélium-néon, procédé qui élimine tout risque d’usure - vitesse de rotation de 1 500 tours à la minute, avec possibilité d’accéléré ou de ralenti - disque en VLP constitué d’une couche de polyvinyle transparent et d’une couche de métal réfléchissant.
Comparons les autres procédés :
T.E.D. (Telefunken-Teldec-Decca) : lecture mécanique par diamant, vitesse de rotation identique au précédent, absence de plateau tel qu’on l’entend jusqu’à présent. En effet, le disque repose sur un coussin d’air de quelques millièmes de millimètre ; durée de vie du vidéo disque équivalente à celle d’un disque microsillon.
Selectavision R.C.A. : un disque à double face d’une durée de 30 minutes par côté tournant à 500 tours à la minute.
M.D.R. ou Magnetic Disc Recording : le disque présente l’avantage d’être enregistrable ; sa lecture est effectuée par un bras muni d’une tête magnétique (durée de chaque face: 25 minutes).
1976... A la conférence de l’UNESCO de Nairobi, l’enregistrement sonore obtient enfin son statut d’objet culturel, au même titre que le livre.
1977... Coïncidence macabre: pour les “cent ans” du disque, en moins de deux mois (entre le 16 août et le 14 octobre), on apprend le décès de trois “géants” du disque: Elvis Presley, Bing Crosby et Maria Callas.
1982... Seconde grande révolution dans le monde du disque: après le microsillon, qui avait fait disparaître le 78 tours, le CD s’apprête, à son tour, à enterrer le microsillon. Ce remplacement ne sera certes pas instantané (il faudra plusieurs années pour que le CD soit accepté dans le monde entier) mais, une fois rentré dans les mœurs, le CD surmultipliera les ventes de disques, à tel point qu'il faudra inventer des termes nouveaux, le disque de platine et le disque de diamant rendant quasiment ridicules les disques d'argent et disque d'or décernés précédemment (pour ne citer qu'un exemple précis : en 2000, Johnny Hallyday vendra deux millions d'exemplaires de son disque "Sang pour sang". L'idole, au sommet d'une carrière longue de quarante ans, pulvérisait son précédent record (en théorie, un million d'exemplaire de "Viens danser le twist", mais à une époque où les chiffres étaient beaucoup moins fiables).
Les distinctions (disque d'argent, d'or, de platine, de diamant, etc...)
Dans les années 60, on avait coutume d'utiliser un calcul cumulé, comme l'indique cet article paru en 1967 dans "Spécial Pop":
En principe on offre un disque d'or à toute vedette qui vend un million d'exemplaires d'un disque. Par disque on entend le simple ou single à un morceau par face. Pour les 33 tours que l'on considère comme équivalents à 6 singles, on offre le disque d'or non plus au millionième disque vendu, mais au millionième dollar rapporté par les ventes. Le problème des 45 tours doubles ou E.P. est plus complexe puisqu'on les considère comme un single et qu'il faut pour obtenir le disque d'or en vendre un million d'exemplaires, c'est-à-dire autant que les singles.
Tout cela est bien joli, et certes étourdissant, mais où se situe la réalité? Essayez, en tant que simple commun des mortels, de connaître les chiffres de ventes de disques de votre idole. La première concernée, en toute logique, devrait être sa maison de disque. Or, à coup sûr, elle se réfugiera dans un silence justifié par le côté confidentiel d'un tel renseignement... quitte, en revanche, à communiquer à la presse des chiffres totalement fantaisistes pour faire mousser telle ou telle star sur le déclin. C'est, en principe, contre cette anarchie que s'insurgeront le Top 50 officiel et la remise des disques d'or par des syndicats officiels (SNEPA, RIAA, etc...) qui distribuent les récompenses sur justification de la maison de disque. Hélas toutes les maisons de disques n'appartiennent pas obligatoirement à un syndicat! C'est toujours Spécial Pop qui suggère que le marché de la pop music, en France, en 1967, est plus modeste qu'on a voulu le faire croire:
Il est plus que probable que les très grands succès français n'ont jamais atteint des ventes de l'ordre du million, tout au moins dans la musique pop des idoles. Les publicités qui furent faites à une certaine époque sur certains artistes à propos de leur disque d'or ne sont que les résultats de l'addition pure et simple des ventes totales de tous les disques. Non pas des ventes d'un seul disque. Ceci, tout en faussant le problème, induit le public en erreur. S'il fallait vraiment trouver des vedettes françaises qui ont pu vendre un million d'exemplaires avec un seul disque, il faudrait chercher du côté des André Verchuren, Aimable, Tino Rossi, Charles Trénet, peut-être avec "La Mer", ou Aznavour avec "Il Faut Savoir". Et encore, rien n'est moins sûr.
Janvier 1970 voit l'instauration mensuelle du Hit Parade National du Disque organisé par le C.I.D.D. (Centre d'Information et de Documentation du Disque), en collaboration avec les sociétés membres du Syndicat National de l'Industrie et du Commerce Phonographique. Les principaux points de vente du disque sur l'ensemble de la France métropolitaine sont dès lors interrogés par écrit sur la valeur qu'ils attribuent aux ventes de titres de variétés (françaises et étrangères) et classique (17cm/45T et 33T 30cm). Aux titres qui figurent sur chaque liste soumise par les éditeurs phonographiques, les points de vente ont la possibilité d'ajouter, au minimum, 28 titres de leur choix, par questionnaire, et par série. Le C.I.D.D. communique:
Depuis janvier 1970, le Hit Parade National du Disque est mensuel. Cette périodicité permet d'éviter une répétition des titres soumis aux points de vente qui entraînait, d'une part une certaine monotonie dans les résultats, et d'autre part une certaine lassitude chez les points de vente interrogés. Le Hit Parade National du Disque étant donc mensuel, il nous a été permis de fournir un service supplémentaire: une analyse des cinq premiers titres de chaque série, par région géographique du territoire métropolitain.
Le seul et unique Top 50 officiel fut présenté à partir de 1984 par Marc Toesca, diffusé à la télévision (Canal +), sur Europe 1 et dans Télé 7 Jours. Une institution qui fut témoin d'un évènement ô combien historique: la disparition du 45 tours, objet aujourd'hui certes obsolète, mais sans qui le hit-parade n'aurait sans doute jamais existé.
A partir du mois de mai 1993 on ne tint plus compte que des ventes de CDS (compact disc singles) et des K7S (cassettes audio simples). Le Top 50 disparut le 2 septembre de la même année, après (quand même!) 462 semaines de bons et loyaux services officialisés par les instituts de sondages IPSOS / NIELSEN. Entre-temps, il avait fallu un véritable concours de circonstances pour sauver le disque français : la diminution du taux de la TVA (de 33,3% à 18,6% puis 20,6%) et l'accès du disque à la publicité télévisée. On ne saura jamais réellement combien de dizaines de millions de disques ont été vendus grâce au sticker "Vu à la télé".
Depuis la disparition du Top 50, on peut consulter les "Top" établis par Europe 2 et les instituts IFOP, TITE LIVE et SNEP, comprenant un Top 50 singles, un Top 50 albums, et, époque oblige, un Top 25 des compilations. La revue Musique Info hebdo, réservée aux professionnels mais néanmoins distribuée dans les kiosques, multiplie les hit-parades. Signalons enfin l'existence des hit-parades établis par l'agence Media Control France consistant en un top discothèques, établi sur un panel de deux cents clubs... un top radios périphériques, établi à partir des renseignements communiqués par France-Inter, Europe 1, R.T.L. et Radio Monte Carlo... et un top radios FM.
En 1984, Michael Jackson établit un record toujours inégalé : 32 millions d'exemplaires vendus de son album Thriller. Dix ans plus tard, on en était à 47 millions!
En terme de 45 tours, le record de ventes resta longtemps décerné à White Christmas de Bing Crosby... jusqu'à ce jour de 1997 où le tragique accident de la Princesse Diana Spencer donna à Candle In The Wind, interprété par Elton John, une seconde lecture (40 millions d'exemplaires en quelques semaines).
Ces nombres, qui donnent le vertige, sont-ils exacts ? Et l'ont-ils toujours été ? Cycliquement, les professionnels évoquent, la larme à l'œil, la crise du disque ! Est-elle aussi réelle qu'on le dit ? On peut s'interroger : dans les années 60, on parlait en terme de DISQUES D'ARGENT et de DISQUES D'OR ; trente ans plus tard, les meilleures ventes étaient récompensées par des DISQUES DE PLATINE et, pour un million d'exemplaires, par des DISQUES DE DIAMANT.
Mais pour le quidam ces termes ne correspondent à rien de bien précis ; d'un pays à l'autre, on comptabilise différemment ces ultimes distinctions. C'est logique, d'ailleurs: comment décerner un même disque d'or dans des pays qui n'ont pas du tout le même nombre d'habitants! Avec un million de disques vendus aux Etats-Unis, une chanson connaît un petit succès... tandis que le même nombre vendu en Belgique signifie qu'elle est entrée quasiment dans chaque foyer. Les procédés de comptage varient donc selon l'époque et selon le pays concerné. Un véritable casse-tête !
Prenons le cas de la France dans les années 90, où l'on continue d'honorer différemment singles et albums, et dont voici les diverses distinctions: - disque d'argent: 125 000 exemplaires d'un single - disque d'or : 100 000 exemplaires d'un album, 250 000 exemplaires d'un single - double disque d'or : 200 000 exemplaires - disque de platine : 300 000 exemplaires d'un album, 500 000 exemplaires d'un single - double disque de platine : 600 000 exemplaires - triple disque de platine : 900 000 exemplaires disque de diamant : 1 000 000 exemplaires d'un album, 750 000 exemplaires d'un single.