- La Bande Magnétique
1881 et 1885... L’Américain Tainter, qui s’était déjà illustré en expérimentant un procédé d'enregistrement sur disque à gravure verticale, imagine cette fois, pour enregistrer le son, des solutions utilisant l’électromagnétisme. Ses propres investigations tournent court... mais un chercheur hollandais, Wilhelm Hedic, y reviendra en 1887, suggérant, pour support, un ruban à déplacement régulier. L’idée de la bande magnétique conduira (mais au bout de combien de temps !) à l’invention du magnétophone puis de la minicassette (en 1963) qui révolutionna le marché dès 1967; le lecteur de cassettes investit ensuite la plupart des véhicules, et, enfin, devient “baladeur” pour le piéton, avec l’invention du walkman.
L’ingénieur danois Valdemar Poulsen améliore encore le procédé, préconisant un appareil composé de deux bobines supportant un fil ou un ruban imprégné de poudre d’acier et défilant d’une bobine à l’autre en passant à travers un solénoïde (le ruban, beaucoup plus pratique, s’imposera face au fil métallique qui présente deux gros inconvénients: vitesse variable de défilement selon l’enroulement déjà effectué, et, en cas de cassure du fil, réparation rudimentaire: le noeud!).
Signalons que les découvertes de Tainter et Poulsen sont, jusqu’alors, purement théoriques.
1898... Cette fois, on y est ! A l’issue de ses longues années de recherches, Poulsen parvient à un résultat concret, enregistrant et réécoutant sur fil d’acier un court message (le nom “Jacob”). L’année 1898 est décisive, puisque, parallèlement, Oberlin Smith, dans la revue Electric world, explique très précisément dans un article intitulé “Some possibles forms of phonographs” les expériences d’enregistrement magnétique auxquelles il s’est livré. Et dire qu’à la fin du 19ème siècle il se trouva un Français (le physicien Bouasse) pour se gausser, dans son Cours de physique, de la trouvaille de Poulsen:
Devant une telle invention, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus: son extrême ingéniosité ou sa parfaite inutilité.
Ne jetons pas la pierre au témoin critique : l'inventeur lui-même n’avait pas pressenti l’intérêt d’une telle découverte pour l’enregistrement de reportages ou de pièces musicales (entre autres); Poulsen entrevoit cependant un débouché pour sa machine dans le cadre de la téléphonie, d’où son nom de télégraphone. Un abonné est-il absent, qu’il pourra laisser un bref message (45 secondes) informant ses correspondants: “Je m’absente pendant quelques temps, mais vous pouvez cependant me transmettre ce que vous avez à me communiquer, mon appareil enregistreur étant en circuit”. Ce robot n’est autre que le répondeur-enregistreur dont nous faisons aujourd’hui un si grand usage et qui, pendant fort longtemps, utilisa la bande magnétique. Le télégraphone est présenté lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1900.
Le principe de l'enregistrement magnétique est posé, mais ce procédé pourtant bien pratique ne sera généralisé qu'à la fin des années 40. Jusqu'alors, tout reportage radiophonique était, soit réalisé en direct, et donc perdu à jamais, soit gravé sur disque éphémère, puisque réalisé sans matrice. Hormis les stations de radio, seuls quelques nantis avaient les moyens de posséder à domicile une machine à gravure directe (le fidèle engin, témoin-clé de La Main passe, pièce de Georges Feydeau, est également filmé par Fritz Lang, en 1932, dans une scène du Testament du Docteur Mabuse, troisième du cycle; les deux Mabuse précédents étant des films muets, il eut été délicat d’y mettre en scène la “machine parlante”!).
Que désigne-t-on par gravure directe ?
Avant l’usage de la bande magnétique, le disque était confectionné à partir d’une matrice enregistrée directement au micro. C’est la gravure directe, à laquelle, curieusement, on reviendra brièvement au tout début des années 80: à cette époque, en effet, alors qu'on ne parle pas encore d'enregistrement digital, l'industrie discographique cherche tous les procédés susceptibles d'offrir au mélomane un disque de vinyle de qualité supérieure. C'est ainsi qu'on verra fleurir les disques de vinyle 100% vierge (par opposition au vinyle recyclé), les disques "half-speed mastered" (audiophile pressing) ... et les disques dits "à gravure directe", c'est-à-dire enregistrés en une prise, en éludant l'intermédiaire de la bande magnétique. Les musiciens n'ont pas intérêt à faire de fausse note, sinon il faut rejouer toute la face du 33 tours ...ou garder la faute! Ces disques "à gravure directe" furent peu nombreux, mais signaler leur existence démontre bien comment on abandonne un procédé, pour y revenir parfois cinquante ans plus tard!
Grâce à la bande magnétique, progressivement, l'enregistrement ne se fera plus sous forme de gravure directe (c'est-à-dire directement du micro à la matrice). Un petit "truc" pour distinguer les deux procédés: le78 tours est "shunté" (c'est-à-dire que son volume sonore diminue progressivement en fin de face) s'il a été enregistré sur bande magnétique... alors que, dans le cas contraire, il est impossible à l'orchestre de jouer moins fort, pas plus, d'ailleurs, qu'il ne viendrait à l'idée d'éloigner le micro au fur et à mesure que le morceau s'achève.
Un avantage inestimable de la bande magnétique est d’être effaçable par un courant alternatif de haute fréquence (propriété découverte en 1918 par Leonard F. Fuller) et réenregistrable à l’infini (enfin, presque! Il ne faut pas négliger le facteur d’usure).
1928... Il faut admettre que la technique progresse à grand pas: c’est cette année que Fritz Pfleumer dépose le brevet de la bande magnétique, imaginée en 1927 par J.A. O’Neill et telle qu’on la connaîtra durant toute la seconde moitié du 20ème siècle.
1931... Louis Blattner réalise des enregistreurs magnétiques à ruban d’acier, les blattnerphones, qui équiperont les studios de la B.B.C. (fin 1933 l’Allemand Eduard Schuller dépose un brevet pour une tête d’enregistrement magnétique perfectionnée).
La même année, la firme AEG produit une machine baptisée Ferroton à laquelle la société BASF fournit la première bande magnétique commerciale nommée “bande type C”. Présentée cinq ans plus tard (en 1936) aux U.S.A., dans un premier temps, cette nouveauté révolutionnaire ne recueillera pas le moindre intérêt, peut-être tout simplement en raison de son aspect encombrant. Citons, par exemple, le magnétophone de Lorenz dont les dimensions sont malheureusement peu commodes pour que son emploi puisse se généraliser: utilisant un ruban métallique de 3 millimètres de largeur, l’engin permet une durée d’enregistrement de 30 minutes sur une longueur totale de 2 800 mètres avec une vitesse de défilement de 1,5m/seconde... mais la bobine pèse près de 15 kilos, et la machine dix fois plus. Bref, l'Américain boude le magnétophone.
1935... L'Allemagne, en revanche, se montre enthousiasmée par l'engin, présenté à la “Berlin radio fair”, et, à priori, destiné à l’enregistrement de concerts (Le premier enregistrement sur bande magnétique de musique symphonique recensé date de 1936). Mais, rapidement, les chercheurs allemands améliorent l’engin afin de lui trouver des utilisations militaires.
1940... Bien que diffusé le 18 juin par la B.B.C., l'appel à la résistance du général de Gaulle, alors inconnu de la plupart des Français, ne connaît pas immédiatement un grand retentissement : en effet, dans l'hexagone, c'est la débâcle, et fort peu de militaires ou de civils ont pensé à se porter à l'écoute de la station de radio britannique, d'ailleurs brouillée par les Allemands. Même à Londres, nul n'a pensé à enregistrer ce discours dont on ne peut encore deviner l'importance (plus tard, de Gaulle acceptera de réenregistrer sur disque, pour la postérité, le texte devenu historique). En revanche, quelques journalistes l'ont entendu et, deux jours plus tard, le texte était repris dans la presse de la France libre par de nombreux quotidiens (dont Le Provençal).
1945... Lorsque la guerre s’achève, les troupes alliées investissant l’Allemagne ont l’impression de "découvrir" le magnétophone, couramment utilisé par l'état-major nazi. Or, après avoir expédié cette "étonnante machine" aux Etats-Unis, les Américains réalisent finalement qu’ils s’agissait de la même que celle qu’ils avaient boudée neuf ans auparavant! Inutile de dire que, par la suite, les Américains ne se sont pas fait prier pour utiliser un procédé aussi pratique; durant les années 50 et 60, l’Américain moyen en était friand, tout autant dans sa voiture où il installait un lecteur de cartouches, qu’à domicile où, autant que sur disque, il pouvait retrouver ses artistes préférés sur bande (reel to reel, ce qui signifie littéralement “de bobine à bobine”).
fin des années 40... Si l’usage du magnétophone est inappréciable dans le monde du disque, il en va pareillement pour celui de la radio: sans lui, le montage prenait des allures de tour de force! Avec une paire de ciseaux, du ruban adhésif et une bande magnétique, on peut désormais tout se permettre. C’est fascinant... et dangereux: le discours d’un homme politique peut être monté différemment pour lui faire dire son contraire sans que l’auditeur, à priori, ne se rende compte de rien. A tel point qu’un enregistrement n’a pas de valeur juridique. C’est ce qu’expliquent Jacques Pessis et Manuel Poulet dans Les Aventuriers de la radio:
(12 Janvier 1948) Les deux hommes se rendent à l’étage supérieur du studio de la rue François 1er où l’émission est enregistrée sur un nouveau matériel, le magnétophone. Mulard, le seul technicien capable de l’utiliser, écoute la bande à plusieurs reprises.
J’essaierais bien quelque chose, finit-il par murmurer… (il passe doucement l’enregistrement d’avant en arrière sur la tête de lecture, sort son stylo, marque un repère sur la bande et coupe une infime portion du ruban. Il en décape ensuite six millimètres, pose une colle spéciale et réunit les morceaux).
(Ndr: rapidement, on utilisera de la bande adhésive de la largeur de la bande magnétique. Cette dernière est coupée en biseau puis positionnée bord à bord. L’avantage est double: l’opération est immédiate, puisqu’il n’est pas besoin de laisser sécher la colle, et la coupe en biseau rend le trucage totalement indécelable à l’oreille).
Il faut attendre que ça sèche, conclut-il calmement. Dix minutes plus tard, (...) on n’entend plus “n’est-ce pas” mais “n’est pas”. Mulard est parvenu à couper une lettre dans un mot”.
1947... Le premier a avoir profité des possibilités de trucage offertes par la bande magnétique est très certainement le comique américain Jerry Lewis : ses gags, très visuels, ne présentaient pas, jusqu'alors, le moindre intérêt sur disque. Son duo avec Dean Martin ("That certain party") aurait sombré dans l'oubli si la technique n'avait pas permis d'accélérer sa voix à l'extrême, contrastant de manière fort comique avec celle de Dean, belle et grave.
1950... Du nouveau pour les professionnels de la radio, jusqu’alors accoutumés à réaliser leurs reportages en extérieur sur du matériel lourd, encombrant et fragile: Stéphane Kudelski construit les premiers Nagra, magnétophones portatifs d’une qualité extrême, à tel point qu’ils deviennent le fidèle compagnon des techniciens qui accompagnaient les reporters de Radio-France. Le Nagra était encore la référence en matière de magnétophone à bande, notamment pour le cinéma (Nagra 4 stéréo) jusqu’à l’apparition de l’enregistrement numérique.
1951... Après la bande magnétique, voici la bande thermoplastique. Elle permet la mise au point du dictaphone et d’une machine encore plus performante nommée le Tefi; cet engin utilise un ruban de 45m de long et de 16 mm de large; curieusement, le sillon est gravé et lu par un saphir, comme s’il s’agissait d’un disque.
L’usage de la bande magnétique engendre une véritable révolution artistique...
La qualité sonore, et, par extension, les trucages, vont désormais faire partie intégrante des soucis des artistes et de leurs producteurs. Et le producteur tiendra une place de plus en plus importante dans l’élaboration d’un disque.
Si George Martin est sans doute aujourd'hui le producteur dont on "se rappelle" (et pour cause: il possède les Beatles à son tableau de chasse!), il confiait à la revue Beatlefan que, bien avant de connaître la renommée, il avait produit, dans les années 50, des disques d'une véritable valeur avant-gardiste (ceux des Goons, par exemple, mais aussi, en 1960, l'irrésistible album Peters Sellers And Sophia Loren qui utilisait la stéréo comme élément comique... à une époque ou bien peu de monde possédait un tourne-disque stéréophonique). Et tandis que George Martin œuvrait (plus ou moins) dans l'ombre, deux producteurs tiraient la couverture à eux de part et d'autre de l'Atlantique; leur point commun est qu'ils étaient tous les deux aussi exubérants que géniaux! L'Américain Phil Spector et le britannique Joe Meek sont toujours présents dans la mémoire de leurs fans et des artistes qui ont travaillé avec eux. Pas pour les mêmes raisons! Spector et Meek étaient, paraît-il, des gens excessivement antipathiques dans leurs relations professionnelles. Tina Turner, interviewée en 1976 pour le mensuel Extra, rapportait les très pénibles conditions dans lesquelles elle avait enregistré River Deep, Mountain High avec Spector. Quant à Leonard Cohen, il aurait souhaité récupérer, pour en empêcher la publication, les bandes d'un album réalisé en commun: Spector l'attendait la carabine à la main!
On ne trouve guère plus d'humanité chez le producteur anglais Joe Meek, génie cependant responsable du fabuleux titre instrumental Telstar des Tornadoes: Denny O'Dell des Honeycombs se souvient s'être fait jeter dans la rue, sans aucun ménagement pour lui-même ni pour ses instruments de musique, simplement parce qu'il était arrivé en retard d'un quart d'heure pour une audition. En outre, O'Dell n'apprécia jamais le traitement infligé à sa voix par Meek dont l'obsession était d'accélérer les bandes, à tel point que sur certains titres (Can't Get Through To You est l'exemple le plus flagrant) la guitare et la voix semblent totalement hystériques (“J’avais l’impression d’avoir la voix de Donald Duck”, affirme O'Dell au mensuel Record Collector)! Il n'était pas rare non plus que les musiciens se retrouvent entassés dans les toilettes, avec leurs instruments de musique, dans le but d'obtenir une sonorité rare ou curieuse. Meek finira tragiquement en se tirant une balle dans la tête après avoir trucidé Violet Shenton, propriétaire du magasin situé en dessous de son minuscule studio d'enregistrement. L'évènement prend place le jour du 8ème anniversaire de la mort du rocker Buddy Holly... troublant lorsqu'on sait que Joe Meek avait toujours clamé être "habité" par l'esprit de Buddy Holly.
Cette quête de sons étranges trouvera son apogée, dans le monde de la pop music, grâce aux Beatles: bandes magnétiques coupées en mille morceaux puis recollées au hasard, micro placé dans des aquariums, etc... il ne se passait sans doute pas un jour sans que John Lennon ou Paul McCartney ne formule une demande incongrue à l'adresse de George Martin (en revanche, nos apprentis sorciers en herbe étaient priés de ne pas bidouiller eux-mêmes le matériel: le grand Lennon se rappelait avoir eu peur de se faire gronder pour avoir branché lui-même sa guitare sur la table de mixage en l'absence de Martin!).
On se plaît à répéter que les Beatles avaient mis en boîte leur premier album en moins de dix heures... alors que celui de 1967, Sergeant Peppers Lonely Hearts Club Band, réalisé après qu'ils aient décidé de cesser de se produire sur scène pour se consacrer uniquement au studio, nécessita près de 700 heures, rien que pour son enregistrement. Le disque fourmille d'idées, de trucs et de trouvailles. Parfois incongrues: John Lennon avait insisté pour que figure une note inaudible à l'oreille humaine mais insupportable pour celle du chien (une fréquence de 15 kilocycles émise pendant quelques secondes. Précision pour nos lecteurs à quatre pattes).
L'année suivante, en France, l’auteur-compositeur-interprète Gérard Manset apparaissait dans un "show-business" qu'il convenait de dépoussiérer. Encore aujourd'hui, Manset garde toujours une grande tendresse envers le producteur Bernard Estardy, le seul à lui avoir permis de produire les sonorités qu'il souhaitait... sans pour autant passer pour un fou!
Manset (et d'autres, sans doute) regrette qu'on ait aujourd'hui remplacé l'émotion par la technicité, et que les studios sophistiqués (plus de 250 pistes!) soient, sous certains aspects, moins "performants" que le quatre-pistes utilisé dans les années 60. De même, certains fans de rock'n'roll continuent d'écouter leurs morceaux préférés sur 78 tours des années 50, refusant de les remplacer, pour une raison de dynamique du son, par leurs rééditions sur CD. La technique permet néanmoins des prouesses inimaginables, impensables il y a quelques dizaines d'années. Tel chanteur peu doué est, par exemple, totalement capable d'enregistrer un disque potable, note après note, l'enregistreur ne conservant que les inflexions convenables. Et dès le milieu des années 90, on voit fleurir les "duos impossibles", la machine étant désormais capable de mixer, sans que le résultat soit incohérent pour l'oreille, deux versions différentes de la même chanson. Un premier exemple: Walk On The Wild Side, par Lou Reed avec Vanessa Paradis. Plus fort encore, le duo virtuel entre Nathalie Cole et son père, le célèbre crooner Nat King Cole depuis longtemps disparu. Signalons également l'album Grayfolded paru en 1994, échantillonnant 51 versions de Dark Star interprétées par le Grateful Dead sur un total de 41 heures au long des vingt-cinq ans d'existence du groupe! Et, bien sûr, la référence en la matière restera à jamais la publication le 21 novembre 1995 de Free As A Bird par les quatre Beatles, quinze ans après la mort de John Lennon. Jusqu’à quel point, d’ailleurs, l’artiste reste-t-il maître de son art? En 1932, déjà, Piero Coppola ajouta un orchestre moderne à l’enregistrement de La Dona Mobile de Caruso réalisé en 1908 (il s’agit sans doute du premier cas de “remix” de toute l’histoire du disque!). Caruso étant mort en 1921, il est impossible de jurer qu’il eût apprécié cette remise au goût du jour d’un enregistrement historique. Dans le même ordre d’idée, le producteur Norman Petty commercialisait, bien longtemps après la mort du rocker Buddy Holly, un enregistrement jusqu’alors inachevé de ce dernier : Love Is Strange. Ne disposant que d’une ébauche (un couplet et un refrain), Petty avait doublé chacun afin de donner l’impression d’une chanson complète, d’une durée convenable pour une publication sur disque.
Années 60 et ensuite... La bande magnétique voit son nombre de pistes augmenter au fur et à mesure que les studios d'enregistrement se perfectionnent. En 1958, l’enregistrement Ampex sur quatre pistes (nom formé avec les initiales de la société Alexandre Mendelzieff Poniatoff Excellence fondée en 1944) porte déjà les prémices de la quadraphonie qui naîtra en 1970.
En quelques années, du milieu des années 60 à celui des années 70, on passera du studio 4-pistes à celui équipé en 250, voire 500 pistes! Parallèlement, le temps passé en studio pour la réalisation d'un disque augmente de manière considérable... surtout si l'on comptabilise la durée du mixage.
Le magnétophone courant, à la disposition de l’amateur, possède généralement deux vitesses de défilement (9,5cm/seconde et 19cm/s), parfois une troisième (4,75cm/s), dont la musicalité laisse à désirer, et qui reste, généralement, confinée à l'enregistrement de la parole. La qualité d’enregistrement et de reproduction, en effet, augmente avec la vitesse. C’est pourquoi les professionnels utilisent, eux, la vitesse 38cm/s (la minicassette, quant à elle, ne tourne qu’à 4,75cm/s).
1994... La bande magnétique la plus convoitée au monde est mise en vente aux enchères par la célèbre galerie Sotheby's. Il s'agit de l'enregistrement historique réalisé le 6 juillet 1957… le jour où se rencontrèrent John Lennon et Paul McCartney, au cours d'une fête paroissiale organisée par l'église Woolton, à Liverpool. En 1957, il n'est pas encore question de Silver Beatles, ou encore moins de Beatles : le groupe en représentation s'appelle encore les Quarrymen, et il a été constitué autour de John Lennon et Pete Shotton. 27 ans plus tard, donc le 15 septembre 1994, la compagnie discographique E.M.I. fait l'acquisition de ce document historique au prix de £ 78 500. Un prix diablement élevé, si l'on considère que la personne qui avait effectué l'enregistrement de toute la prestation, en 1957, avait rapidement effacé la majeure partie de la bande magnétique pour n'en conserver que deux chansons, Putting on the style (commercialisé par Lonnie Donegan) et Baby let's play house (un des premiers titres au répertoire d'Elvis Presley).
1995... Indéniablement, l’enregistrement sur ruban magnétique est présent dans chaque foyer, dans chaque véhicule, sous la forme de minicassette. Pratique, mais pas très fiable. A l’intention des professionnels est commercialisée la “D.A.T.” dont les performances sont semblables à celles du CD (signalons que la “D.A.T.” avait été imaginée par Stanley Kubrick, à l'usage du héros d'Orange mécanique ; étonnant que ce visionnaire de Kubrick n'ait pas, plutôt, rêvé du CD).
2000... La bande magnétique n’est pas inaltérable. Certes on le savait, on s’en doutait, mais la question devient prépondérante: le magazine américain Billboard révèle, au printemps 1999, que les archives des plus grandes compagnies discographiques multinationales sont en bien piteux état! C’est un véritable péril qui guette les enregistrements de toutes les vedettes du disque enregistrées durant la seconde moitié du vingtième siècle. Comment y remédier? De même qu’à la Bibliothèque Nationale, on s’ingénie à restaurer les ouvrages anciens qui ont, eux aussi, grandement souffert de l’usure du temps, il peut en être de même pour les archives sonores. Un moyen, sinon le seul connu à l’heure actuelle, consiste à traiter les bandes à la chaleur. En effet, la couche de la bande qui contient l’oxyde enregistrable est sujet à détérioration de la part de moisissures contenues dans l’air; il convient de les “cuire” (traduction, en français, du terme “to bake” utilisé par les Anglo-Saxons). Ce traitement est une mesure provisoire qui permet de réaliser immédiatement des copies de sauvegarde; en théorie, après “cuisson”, les bandes retrouvent leur état initial. Mais ce procédé est à utiliser avec la plus grande prudence, car, malheureusement, les bandes magnétiques ne peuvent pas supporter plusieurs “cuissons” successives. Il faut cependant signaler qu’apparemment ce grave problème ne concerne pas les bandes magnétiques de toutes les marques. Le Billboard cite, parmi les victimes, des vedettes internationales aussi connues que U2, les Carpenters, Chet Atkins, Marvin Gaye, Joan Baez... mais constate que celles de marque EMI ont bien mieux résisté.