- Les Grands Inventeurs


Charles Cros

Thomas Edison

Graham Bell

Charles Pathé

Gianni Bettini

Emile Berliner

Cosmophone
Le Cosmophone, petit phonographe à entraînement manuel, une aiguille de phono lit le sillon, le son est transmis par le résonateur formè par le repli en carton.


Charles Cros

Le Français Charles Cros est né à Narbonne en 1842. Passionné de musique, il admet néanmoins n'avoir aucun talent pour jouer du moindre instrument. Sa famille n'ayant guère les moyens d'acquérir les coûteuses boîtes à musique qui l'auraient ravi, c'est tout naturellement qu'il cherche à inventer des machines permettant de produire et reproduire les airs qui l'enchantent ; les pianos mécaniques sont bien encombrants, et, ainsi que les orgues de Barbarie, deviendraient rapidement monotones pour quiconque, comme Cros, n'a pas les moyens de s'offrir une infinie collection de plaques perforées. C'est ainsi que le jeune homme invente d'abord le mélophone, point de départ de ses inventions ultérieures. Le mélophone connaîtra une carrière de courte durée : le jeune homme réalise que la confection des bandes destinées à être jouées par son engin est tout à fait fastidieuse ! Cros, dans un premier temps, s'applique à simplifier cette tâche, mais, au bout de quelques mois, réalise que l'engin est sans avenir, le résultat industriel ne présageant pas de rémunération sensible.

Agé d'une vingtaine d'années, Cros se présente officiellement comme inventeur. Toute sa vie, ses recherches sauront s'égayer dans plus d'une direction, passant sans vergogne de l'harmonium mécanique au télégraphe autographe, de la photographie en couleurs au télégraphe optique capable d'envoyer des messages à destination des autres planètes ! En 1867, il pose les principes du film en couleurs (méthode améliorée l’année suivante par Louis Ducos du Hauron) : il suffit de filmer simultanément au travers de trois écrans différemment colorés. Le procédé sera utilisé en 1920 par Léon Gaumont ; ayant pris soin d’adjoindre un appareil correcteur pour ajuster les images les unes sur les autres, Gaumont fut capable de présenter à l’Académie des Sciences le premier film en couleurs (il s’agissait du défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées).

Dès l'âge de 27 ans, Cros publie ses premiers vers. L'année suivante, c'est-à-dire durant la guerre de 1870, il se lie d'amitié avec le demi-frère de l'épouse de Verlaine avec qui il recherche la synthèse artificielle des pierres précieuses. Les deux hommes parviennent même à fabriquer des rubis. C'eût été une totale réussite... si leur coût de fabrication n'avait été supérieur au cours du véritable rubis ! Pas découragé pour autant, Cros publie, quatre ans plus tard, un article de vulgarisation scientifique consacré à la fabrication des pierres précieuses intitulé "L'alchimie moderne". C'est à cette époque qu'il confie à un ami avoir trouvé le moyen de clicher le son. Il va désormais se tourner vers la construction de son paléophone, machine à laquelle il songe depuis de nombreuses années. A l'âge de 18 ans, en effet, Cros était aspirant répétiteur à l'Institut des sourds et muets. Très vraisemblablement, c'est à cette époque qu'il entrevoit une utilisation des plus pratiques à sa future invention : son paléophone n'est pas strictement destiné à écouter de la musique, comme ce sera pourtant son principal destin, mais à aider les sourds-muets dans leur vie de tous les jours. Il leur suffirait en effet, lors de déplacements, de se munir de la machine en question, avec une cire préenregistée portant un échantillon de phrases usuelles. L'idée, d'ailleurs, n'était pas tombée... dans l'oreille d'un sourd : en 1880, on expérimente l'audiphone. Cette invention de l'Américain Rhodes, améliorée par le Suisse Colladon, qui n'a, certes, pas grand rapport avec le paléophone, consiste en une feuille de carton tenue serrée entre les dents et arrondie avec la main de manière à opposer aux sons une surface concave. En toute évidence, il s'agit là d'un instrument excessivement rudimentaire et d'un coût très réduit, mais qui, finalement, malgré sa simplicité, permet aux sourds de distinguer des sons, qu'il s'agisse aussi bien de paroles que de musique, en transmettant aux dents et à la charpente osseuse de la tête les vibrations de l'air.

Revenons à Charles Cros, dont l'engin, beaucoup plus sophistiqué, est constitué d'une boîte de cigares faisant office de pavillon, et d'un bec de plume fixé à une membrane vibrante qui creuse une plaque de cire vierge actionnée par un mouvement d'horlogerie... plaque de cire que Cros égalisait au préalable au fer à repasser ! La scène ne devait pas manquer de piquant, surtout lorsque Cros demandait à ses assistants de crier un mot bien "claquant". Immanquablement, c'est le mot de Cambronne qui ressortait quelques instants plus tard, de façon bien tremblotante au demeurant ! Cette machine est totalement complète puisqu'elle comporte un récepteur, un enregistreur et un reproducteur, alors que son descendant l'électrophone ne peut que reproduire les sons préalablement gravés sur disque. C'est pour cette raison que l'abbé Lenoir propose à Cros de baptiser sa machine phonogramme plutôt que paléophone (littéralement "Voix du passé"). Cependant le vocable proposé par l'abbé Lenoir sous-entendait l'enregistrement des sons, mais ne tenait pas compte de leur reproduction ; en outre, le mot phonographe avait été breveté quelques semaines auparavant, et il convenait donc de trouver une autre appellation.

La description faite par l'abbé Lenoir, dans La Semaine du Clergé du 10 octobre 1877, est tout à fait charmante... et engage à la rêverie ; il faut dire qu'on est encore dans le domaine, quasiment, de la science-fiction, puisque l'abbé explique les principes d'une machine qu'il n'a pas vu fonctionner :

Il ne s'agit plus d'une simple transmission des sons, comme dans le téléphone, au moment même où ils sont produits ; il ne s'agit pas moins, chose étrange, que de conserver les sons en magasin, et de les faire se reproduire, quand on le veut, d'une manière indéfinie. (...) Par cet instrument que nous appellerions, si nous étions appelé à en être le parrain, le phonographe, on obtiendra des photographies de la voix comme on en obtient des traits du visage, et ces photographies, qui devront prendre le nom de phonographies, serviront à faire parler, ou chanter, ou déclamer des gens, des siècles après qu'ils ne seront plus, comme ils parlaient ou chantaient ou déclamaient lorsqu'ils étaient en vie.

Le phonographe ne reproduira pas, sans doute, toutes les déclamations, paroles, chansons, etc... de l'être pendant qu'il vivait, mais il reproduira ce qui aura été fixé par lui de ses discours, chants et autres sons. Ce seront des échantillons qui en seront conservés. Ne sera-ce pas là une des plus curieuses choses que l'on puisse imaginer ? Faire chanter, par exemple, pendant quelque temps, un des morceaux qui auront rendu tel ou tel chanteur très célèbre, et faire chanter ce morceau, avec une voix toute semblable, par un simple instrument de physique, qui se nommera le phonographe, lequel se servira mécaniquement d'un cliché fait pour cela, se conservant toujours comme se conservent les clichés des gravures sur bois ou sur cuivre. Comment donc M. Charles Cros arrivera-t-il à un pareil résultat, en supposant qu'il réussisse ?

C'est donc sous le nom de phonographe qu'est enregistré le 19 février 1878 l'engin de Charles Cros (l'exploitation commerciale d'une telle machine ne commencera, de part et d'autre de l'Atlantique, qu'une quinzaine d'années plus tard). Les bases d'une machine sonore étaient posées... mais Cros ne disposait pas des moyens financiers nécessaires à lui permettre de continuer ses recherches de manière indépendante. Le voici donc en quête de mécènes. C'est tout d'abord le Duc de Chaulnes qui met un laboratoire à sa disposition, avec l'assurance d'une rente confortable s'il parvient à faire aboutir ses recherches ; relatons la réaction horrifiée de la mère du Duc qui lui reproche de blasphémer en voulant se croire l'égal de Dieu, seule force autorisée à créer la parole. Et elle n’est pas la seule à manifester son hostilité ! Voici, en effet, ce qu’on put lire dans une revue scientifique de 1878:

Monsieur Bouillaud, éminent physiologiste, fait part de son intime conviction que les expériences de téléphonie et de phonographie font appel à la ventriloquie. Il pose en principe absolu qu’il ne peut y avoir émission de sons articulés si l’appareil phonateur n’est pas construit comme les organes vocaux de l’homme et il n’admettra jamais qu’un vil métal puisse remplacer ce noble appareil phonateur dont nous faisons usage.

Lorsque le Duc de Chaulnes cesse de l'aider, Cros, désemparé, se réfugie dans l'alcool. Il n'est pas parvenu à s'imposer comme poète (aujourd'hui, pourtant, tout le monde connaît son poème du "Hareng Saur" ou celui de "Sidonie", chanté de si charmante manière par Brigitte Bardot au début des années 1960), et ses inventions sont en permanence contestées par ses concurrents. Curieux comme chacun ne retient que ce qui le concerne : notre ouvrage se consacrant principalement aux recherches scientifiques de Charles Cros, nos lecteurs retiendront de lui le savant souvent malheureux. Or, voici comment L’Illustration le présentait à ses lecteurs dans son numéro du 18 août 1888 :

Ce personnage original qui, paraît-il, avait inventé le phonographe avant le Yankee Edison, dans tous les cas, avait inventé le monologue, ou plutôt, perfectionné à la française ce que les Anglais appellent le soliloque. O le monologue ! Joie et terreur des salons ! Charles Cros en avait fait une institution nationale. Pendant plus d’un hiver, la France entière “monologuisa” (...). Cet étonnant Charles Cros, esprit original, un peu détraqué, étoilé, inventa ces soliloques extraordinaires qui nous amusèrent d’abord, puis nous donnèrent sur les nerfs (...). Cela dura quelques hivers, puis la chansonnette détrôna le monologue, et Charles Cros, rival d’Edison, eut pour rival Paulus. Aujourd’hui le monologue est mort, et qu’il repose en paix, comme son inventeur lui-même.

En 1880, un nouveau mécène, le constructeur d'instruments de précision Jules Carpentier, met un atelier à la disposition de Cros, qui poursuit alors, tant bien que mal, ses recherches concernant la photographie en couleurs. Mais l'homme est découragé par le physicien Becquerel qui avait précédemment ruiné les espoirs de Scott De Martinville (voir plus loin). En 1884, le Comte De Lamothe propose à Charles Cros une pièce de son appartement. Mais c'est déjà un homme fini. Cros meurt le 9 août 1888.

Reproduction de la machine «Fin Foil» d’Edison de 1878 à entraînement direct
par manivelle
Reproduction de la machine «Fin Foil» d’Edison de 1878 à entraînement direct par manivelle.



Thomas Edison

Contrairement à Charles Cros qui est avant toutes choses un poète, Edison est, lui, un parfait homme d'affaires ; sa "machine à sons" ne représente qu'une toute petite partie de ses activités. Edison a déposé, en tout et pour tout (et peut-être même détient-il un record !) 1903 brevets ! On en trouve trace à l' I.N.P.I. (Institut National de la Protection Industrielle) dès 1893 (brevet n° 6150 du 18 juillet), puis en 1899 sous la marque Phonodison. “Il y a seulement un de mes brevets sur dix qui ait une valeur pratique, explique-t-il. La plupart sont pris pour protéger le domaine couvert par l’invention. Il faut au moins dix ou quinze brevets pour empêcher qu’on ne puisse dérober une invention valable.”

Il est fort possible que la surdité partielle qui affectait Thomas Edison lui ait permis de s'isoler du monde qui l'entourait, et ainsi de pouvoir plus aisément se concentrer sur ses inventions. Edison, petit génie de débrouillardise surnommé "Victor Hugo Edison", est un touche-à-tout parfois gaffeur ou brouillon !

Thomas Alva Edison est un personnage hors du commun et son parcours est pour le moins passionnant ! Né en 1847 à Milan, dans l’Ohio, il apprécie peu l'école en dehors des cours de chimie. Au sous-sol de la maison familiale, il installe un petit laboratoire constitué de bric et de broc. Pour acquérir les produits nécessaires, il demande l'autorisation parentale de pouvoir travailler.

A l'âge de 13 ans, Thomas Edison avait obtenu l'exclusivité de fabriquer et distribuer un journal... à l'intérieur d'un train en mouvement ! C'est ainsi qu'il devint vendeur de journaux sur la ligne de chemin de fer qui relie Port Huron à Detroit ; c'est l'occasion rêvée, entre deux voyages, de consulter tous les livres techniques de la bibliothèque municipale des villes d'escale.

Son petit commerce de journaux fonctionnant bien (on est en pleine guerre de Sécession, et les voyageurs sont avides d'information), Thomas Edison crée, à bord du train, son propre journal, The Weekly Herald, dont il est le seul et unique employé : il rédige, compose, imprime et vend lui-même 400 exemplaires chaque semaine ! Malheureusement, il met le feu au fourgon qui abritait sa petite imprimerie, et se trouve, du jour au lendemain, chassé de la ligne ferroviaire.

Reproduction d'une Publicité Edison 'Vieux Couple au Phono'
Reproduction d'une Publicité Edison 'Vieux Couple au Phono.

Comme de nombreux créateurs essentiellement préoccupés par l'expérimentation et l'innovation, Edison flirte tantôt avec le succès, tantôt avec le plus cuisant échec. Ayant sauvé la vie du fils d'un chef de gare qui jouait innocemment sur la voie ferrée, Edison est remercié par le père reconnaissant qui l'initie à la manipulation du morse. Cette nouvelle corde à son arc permet à Edison de devenir télégraphiste ; instable, il exerce cette profession dans diverses cités du Canada et des Etats-Unis... et envisage même de s’expatrier au Brésil. Ses initiatives (trop) personnelles, et, reconnaissons-le, ses gaffes lui valent d'être fréquemment renvoyé des postes qu'il occupe.

En 1868, il invente une machine à voter. Puis une sorte de télégraphe indiquant les cours de la Bourse. L'année suivante, curieux de comprendre le fonctionnement de l'agence de change du docteur Laws, il se trouve sur les lieux au moment où éclate une panne affectant l'émetteur central ; ayant pu réparer la complexe machinerie, il se voit confier, par Laws lui-même, la direction de ses services techniques. Cette fois, Edison est véritablement saisi par la frénésie de la réussite, et ne cesse de prendre de l'ampleur dans la vie économique du pays. Il lui arrive parfois, cependant, de passer à côté d'une découverte, d'une invention importante. C'est le cas de la machine à écrire, que lui présente un inventeur en 1870 ; pointilleux, Edison améliore l'engin... mais s'en détourne aussitôt, considérant, peut-être, qu'une telle machine n'a pas d'avenir !

Après avoir exercé moult métiers, gagne-pain ou passe-temps, il s'implique dans la construction d'appareils télégraphiques. Dès 1876, il investit un terrain vague dans la grande banlieue de New York (à Menlo Park, dans le New Jersey) et y construit de vastes baraquements où il installe son équipe de chercheurs et d'ingénieurs. Il a pour client la Western Union qui le presse d'inventer un appareil téléphonique plus performant que celui de Bell. C'est alors qu'Edison utilise le projet d'une machine qu'il avait conçue en 1875 : l'électromotographe, récepteur constitué d'un cylindre de chaux imprégné d'une solution de potasse sur lequel frottait un index.

Les recherches dans le domaine de la télégraphie se poursuivent dans les ateliers / laboratoires d'Edison, que l’on ne tarde pas à surnommer “le sorcier de Menlo Park”. Début 1877, on y met au point une machine dont le portrait est déjà celui du futur tourne-disque, bien qu'il soit destiné à un tout autre usage ! Sur un plateau métallique était gravé un sillon en spirale, et un bras semblable à celui d'un pick-up actionnait un stylet graveur. Mais en juin de la même année, le disque fut remplacé par un cylindre, et l'on s'éloigna de cette vision prémonitoire de l'électrophone moderne. Ces recherches, néanmoins, s'avèrent fructueuses dans la mesure où elles conduisent à une constatation capitale : en augmentant la vitesse de défilement du support gravé, le style, à partir d'un certain nombre de tours à la minute, émet des vibrations audibles qui rappellent la voix humaine. Poursuivant ses investigations, Edison acquiert la certitude que les vibrations de la parole ont été enregistrées. En ce 18 juillet 1877, Edison est parvenu au même point que Scott De Martinville (voir plus loin) avec son phonautographe en 1857 : l'écriture du son. Restait à le reproduire ! Cela ne prendra qu’une poignée de mois : le 24 janvier 1878 est créée l’Edison Phonograph Company, sise 203 Broadway à New York. Le premier phonographe Edison, le Parlor Speaking Phonograph, est proposé au prix très attractif de $ 10.

Phono d'Edison 'Fireside' (1911-1913) à tête 'Diamond' pour Cylindres Standards 'Amberal' d'une Durée de 4mn
Phono d'Edison 'Fireside' (1911-1913) à tête 'Diamond' pour Cylindres Standards 'Amberal' d'une Durée de 4mn.

En même temps que Cros, l'Américain Thomas Edison réalise son premier phonographe qu'il présente fin 1877 au journal Scientific American. Une machine certes encore rudimentaire, car simplement constituée d'un cylindre mobile recouvert d'une feuille d'étain très fine, et d'un diaphragme enregistreur qui sert également à reproduire le son en y ajoutant un pavillon. L'année suivante, il imagine d'en amplifier le son à l'air comprimé. La trouvaille d'Edison est, paraît-il, fortuite : alors qu'il s'amusait à parler dans son chapeau (!), sorte de grand haut-de-forme, il s'aperçoit que sa voix fait vibrer le fond extérieur du dit chapeau ; c'est le principe de la plaque vibrante, que Gray et Bell venaient d'appliquer au téléphone. Edison n'expérimenta pas lui-même son phonographe, mais demanda à l'un de ses collaborateurs : "Voyez ce petit appareil, parlez-lui et il reproduira votre voix".

Indiscutablement, donc, les deux noms à jamais associés à l'invention du disque sont ceux de Charles Cros et de Thomas Edison. Cros aurait eu la paternité du disque s'il n'avait pas été pauvre comme Job, et incapable de payer le dépôt légal de son invention. Edison, en homme d'affaire avisé, sut faire fructifier sa trouvaille.

En 1888, jamais à court d’idées, Edison imagine le linguaphone ; il ne s’agit pas, comme son nom prête à croire, d’un appareil destiné à apprendre les langues, mais... à remplacer les sifflets des locomotives !

Avec une mauvaise foi qui n’a d’égale que son génie, Edison, parfois, “en faisait trop”. A preuve ce procès qu’il perdit en 1913 concernant la paternité du film cinématographique. Edison avait, certes, œuvré efficacement pour faire évoluer le septième art, mais sa contribution résidait dans le dispositif d’entraînement du film, alors que le film lui-même avait indiscutablement été créé aux Etats-Unis par George Eastman.

Edison meurt le 18 octobre 1931. A la mémoire de l’homme qui a tant fait dans le domaine de l’éclairage public, une minute d’obscurité est respectée dans tous les Etats-Unis.




Alexander Graham Bell

Alexander Graham Bell est né en 1847 (la même année qu'Edison !). Sa famille vit en Ecosse, mais les rigueurs du climat ont pour désastreux effet d'infliger la tuberculose à la famille Bell, dont certains membres vont mourir. Le père décide donc de s'installer dans une contrée plus clémente. Direction le Canada. Et en 1872 l'Ecossais Alexander Graham Bell s'installe aux Etats-Unis, où il entame ses recherches. En 1876, son téléphone est prêt à recevoir une exploitation commerciale. La très puissante Western Union prend ombrage du monopole acquis par le brevet déposé par Bell, et charge Edison de se pencher sur la question. Ce dernier trouve une solution : il applique au téléphone une idée qu'il avait fait breveter en 1875, le Motograph. Cette application étant malheureusement coûteuse et encombrante, la Western Union préfère se contenter de contrefaire le modèle de Bell. Celui-ci, de son côté, décide de se lancer dans la construction de phonographes et pirate le procédé d'Edison. Il s'ensuivra, comme on l'imagine aisément, une longue procédure.

Moins longue, cependant, que celle qui opposa Bell à l’italien Antonio Meucci, véritable inventeur du téléphone.




Charles Pathé

Charles Morand Pathé en né en 1863. Il a de nombreux frères et sœurs, et sa famille vit plutôt dans la gêne et l'austérité. Charles doit travailler dès l'âge de 15 ans ; la vie, pour lui, est si dure, qu'il accueille ses années de régiment (1883-1888) comme une délivrance ! De retour à la vie civile, il décide de chercher l'aventure en Amérique du Sud. Ses ambitions sont modestes : il exploite une laverie de linge ! Mais son associé meurt de la fièvre jaune, et Pathé rentre au bercail. Il prend alors en gérance une sorte de guinguette... mais la clientèle est trop rare. A l'âge de trente ans, il se marie, trouve un misérable emploi de bureau ; son épouse, sage-femme, contribue à assurer la survie du ménage. Ambitieux, Pathé ne peut se résigner à cette vie difficile et médiocre. Comme il habite à Vincennes, son attention est attirée par une attraction tout à fait nouvelle qui étonne les badauds à la Foire : le phonographe de Monsieur Edison. Subjugué, il décide de devenir montreur de phonographes. Il aura bien du mal à réunir le prix de cette coûteuse machine qui, de toutes façons, ne sera disponible en France qu'à partir de 1894. Il tente d'emprunter à sa mère et à son frère Emile (ce même frère qui ne va pas tarder, à son tour, à tomber sous le charme de cette étrange invention). Mais dans l'immédiat, nul ne fait guère confiance à Charles. Qu'importe ! Il se débrouille, puisqu'il croit en son idée. Il faut savoir que la machine dont il fait l'acquisition n'est pas un modèle des plus récents, puisqu'il s'agit d'un Edison 1889, alors que nous sommes en 1894. Charles Pathé fait sa première démonstration publique le 9 septembre à la Foire de Montéty, en Seine-et-Marne. La légende raconte que, parti le matin avec sa femme par le char à bancs qui le menait en ville, il n'avait même plus de quoi payer son billet de retour, tant il avait investi dans sa machine.

Logo Pathé dans les Années vingt
Logo Pathé dans les Années vingt.

Pour amorcer la clientèle, Charles Pathé offre une audition gratuite aux enfants qui n'ont plus qu'à faire la queue avant de se coiffer des écouteurs. Le succès étant évident, les adultes se piquent au jeu et bientôt pleuvent les pièces de dix centimes (à tel point que Pathé aurait rapidement doublé ses prix !). Dès lors, Pathé entreprend la tournée de toutes les foires de la région parisienne. Le pécule amassé lui permet de rembourser son emprunt et de "voir plus grand". Comme l'araignée tisse sa toile, après avoir été démonstrateur ("montreur"), il va désormais proposer aux forains de toute la France les gramophones et cylindres qu'il importe, dégageant ainsi une marge substantielle. Il lui faut trouver un ou des fournisseurs aux Etats-Unis, car le catalogue Edison est détenu en exclusivité par une société qui n'a pas besoin des services de Pathé comme revendeur. Heureusement pour Pathé, le monopole d'Edison prend fin, justement, en 1894 (Edison, cependant, n'a pas l'intention de baisser les bras et fait saisir, en France notamment, tous les appareils qui étaient exploités sur la voie publique). Pathé, néanmoins, parvient à se fournir, à Londres, en phonographes Edison. Il s'agit très probablement de contrefaçons, mais les clients n'y voient goutte. En revanche, pour les cylindres, la question est plus difficile à résoudre, car le public français souhaite écouter des textes, des chants en français. La solution est, finalement, assez facile à imaginer : les machines étant à la fois reproductrices et enregistreuses, il suffit à Pathé d'importer des rouleaux vierges, et de les enregistrer en France... d'où la naissance, rapidement, d'une sorte de "studio d'enregistrement" dans ses locaux.

Disque Pathé 35cm, 90-100 Tours à Lecture Saphir (Verticale), début du 20ème Siécle
Disque Pathé 35cm, 90-100 Tours à Lecture Saphir (Verticale), début du 20ème Siécle.

Importateur, c'est bien, mais... le plus simple ne consiste-t-il pas à fonder sa propre société ? C'est chose faite au 100, puis au 72 Cours de Vincennes à Paris où Charles Pathé dispose de plusieurs salles d'enregistrement, profitant d'un vide juridique qui lui a sauté aux yeux alors qu'il se penchait sur le cas du procès qui opposait les firmes Edison et Columbia (signalons que la société Pathé sera rachetée en 1928 par Columbia !)

Lorsqu'un client désire obtenir un rouleau phonographique, on le fait patienter quelques minutes : à l'étage supérieur, un orchestre et des chanteurs sont réunis autour d'un grand cornet, prêts à interpréter le morceau demandé. Pathé lui-même met la main à la pâte, ne reculant pas devant la répétition de monologues, comme en atteste cet extrait d'article que publie un journal de 1895 :

Travaillant selon le système à prise unique d'Edison, dans le studio Pathé, de malheureux chanteurs s'égosillent à chanter la même chanson toute la journée devant un pavillon. Charles Pathé lui-même a répété plus de mille fois devant un cornet le dernier discours du président Sadi Carnot avant son assassinat.

Pour la petite histoire, sachez que cet enregistrement historique est parvenu jusqu’à nous : Radio France en possède un exemplaire dans sa phonothèque.

Dans la revue professionnelle L’industriel forain, Pathé, qui commercialise désormais des phonographes Columbia aussi bien qu’Edison, propose des modèles toujours plus performants... et de moins en moins chers. De son côté, Léon Gaumont, financièrement soutenu par Gustave Eiffel, publie la première publicité parue dans une revue destinée au grand public (L’illustration, en l’occurrence). On parle même, désormais, de modèles portatifs (le cylindre est, dans ce cas, mis en rotation manuellement, sans avoir recours à l’électricité ; la seule difficulté consiste à tourner la manivelle de manière régulière). Le vent souffle donc dans la bonne direction pour le phonographe : on commence à s’adresser, non plus uniquement aux forains, mais directement à l'homme de la rue, lui faisant miroiter la possibilité d'écouter les mêmes enregistrements à domicile aussi bien qu'à la foire. Les premiers appareils, bien sûr, sont coûteux et s'adressent à une clientèle aisée ; c’est le cas du portatif système Edison qui coûte aussi cher qu’une machine de forain et qui, pourtant, n’en possède pas les performances (notamment, il n’est que lecteur ; de plus, son entraînement est manuel). Mais c'est le propre de toute invention nouvelle, dont les prix baissent lorsque le marché s'élargit.

L'activité de Charles Pathé s'avère rentable puisqu'en 1895 il s'associe avec son frère Emile dans le but de créer, dès l'année suivante, la maison Pathé Frères, possédant sa propre usine de fabrication à Chatou. Autre innovation de cette année 1895 : Pathé propose aux forains une nouvelle machine importée d’Amérique, le kinétoscope d’Edison (cinéma monté dans une machine à sous). La machine en question est aujourd’hui totalement tombée dans l'oubli, mais il n’est pas rare de rencontrer des vieux titis parisiens qui emploient l’expression “aller au kino” plutôt “qu’aller au cinéma” (en russe, “kino” signifie cinéma, et la célèbre salle parisienne Kinoparama ne projetait, à son origine, que des films russes).

De toute évidence, Charles Pathé louche du côté du cinéma : à la suite des premières projections cinématographiques des frères Lumière, en décembre 1895, il a immédiatement compris que le kinétoscope d’Edison a vécu et qu'il sera rapidement évincé par le cinématographe. Néanmoins une autre machine du même type que le kinétoscope, le mutoscope, est mise au point aux U.S.A. et construite en France par la société Gaumont. Pour le prix de dix centimes, on peut admirer une scène animée constituée d’un millier d’images imprimées, non pas sur pellicule, mais sur papier. En 1900 enfin, dans un dernier sursaut pour résister au cinéma, un ultime appareil sera conçu, le kinora, plus petit, et donc moins cher.

Mais rien ne pourra plus faire obstacle au "cinéma". Ce qu'a bien compris Charles Pathé qui fait construire son propre projecteur et le commercialise en mai 1896. Ses besoins en capitaux sont tels qu’il élargit à leurs deux autres frères, Jacques et Théophile, l’association qui le liait déjà à Emile. Association précaire : au bout de quelques semaines, Jacques et Théophile se retirent de l’affaire. L’incident sera vite oublié, car les évènements vont se précipiter pour Charles et Emile : pressentant que leur local du cours de Vincennes est mal situé, ils se transportent en plein cœur de Paris, au 98 rue de Richelieu. C’est là qu’ils seront approchés par l’homme d’affaires Claude Grivolas qui leur propose un pont d’or et un pourcentage sur les bénéfices futurs s’ils acceptent de vendre leur société à un puissant groupe financier qui leur offre de prendre de l’expansion dans le monde du cinéma. Grâce à cet apport financier fastueux, la firme Pathé prend de l’ampleur, peut se payer de la publicité et éditer un catalogue. La nouvelle société a pour en-tête Compagnie Générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de Précision, Anciens établissements Pathé Frères. C'est sous cette appellation qu'est publié le premier catalogue Pathé en 1898 (en comparaison, le premier catalogue américain de Columbia avait été, lui, édité en 1891). Le catalogue Pathé comporte des cylindres d'opéra, de chant religieux, de musique militaire, de musique de danse... mais surtout de chanson française (Paulus, Yvette Guilbert, Ouvrard, Fragson, etc.). Il était temps qu’une firme française prenne de l’ampleur : Columbia et Edison venaient de mettre sur le marché des appareils très bon marché (25 et 30 dollars, voire moins pour le Graphophone Eagle (copié en France sous le nom de L’Aiglon), petite machine aux performances tout à fait remarquables en regard de son prix particulièrement bas de dix dollars ; son nom de Eagle vient du fait qu’un aigle orne le côté “face” des pièces de $ 10).

Plutôt que de créer des modèles nouveaux, la Société Pathé se contente d’importer les modèles bon marché qui ont fait leurs preuves à l'étranger, tout en substituant la plaque d’origine (Columbia, en l’occurrence) par une plaque Pathé. On peut cependant s’étonner que la Columbia ait autorisé une telle pratique, d’autant qu’elle ouvrit en 1901 ses propres magasins à Paris, très exactement au 34 Boulevard des Italiens. Paul Charbon, dans son livre La machine parlante, suggère qu’il y aurait peut-être eu des accords occultes, sous forme d’échanges ou de cessions de brevets.

Malgré son stock de 50 000 rouleaux disponibles en permanence à partir de 1898, fabriqués au rythme de 8000 par jour, Pathé fait figure d'exploitant aux méthodes encore artisanales. Autre grief envers la société Pathé : en raison du matériau utilisé, les cylindres Pathé, au fil du temps, se sont beaucoup plus détériorés que ceux, par exemple, des firmes Columbia ou Edison.




Gianni Bettini

Ce fringant officier italien a le goût du voyage, de la musique et de la perfection. Lors d'un séjour en France, il tombe amoureux d'une jeune Américaine de passage dans notre capitale. Bettini démissionne alors de l'armée italienne et s'installe aux Etats-Unis. Inventeur dans l'âme, il met au point une machine à sous distribuant des bonbons et des boules de gomme, ainsi qu'un tourne-pages mécanique, bien pratique pour les musiciens qui doivent lâcher d'une main leur instrument lorsqu'il s'agit de tourner les feuillets d'une partition.

Etrennes - Phonographes Bettini
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Amateur de bel canto, Bettini déplore que fort peu d'interprètes de renommée se produisent aux U.S.A. C'est alors qu'il entend parler de ces fameuses machines que construit Edison. Il réalise que, faute de visites fréquentes de la part des grands talents de cette fin de 19ème siècle, on pourrait très certainement pallier ce manque en les enregistrant lors de leurs rares passages, pour ensuite pouvoir les réécouter à l'envi. Hélas, Bettini est horrifié par la pauvre qualité de reproduction sonore des machines alors disponibles. Il se met donc en tête d'améliorer cette sonorité en mettant au point ce qu'il appelle le micrographophone et qui ne lui vaudra que des éloges ; profitant de sa notoriété, Bettini reçoit dans son appartement new-yorkais, transformé pour l’occasion en studio d'enregistrement, tous les grands artistes du moment appelés à visiter le nouveau monde. Citons, entre autres (et pas des moindres), Sarah Bernhardt et Yvette Guilbert. Chaque année, à partir de 1896, Bettini publiera un catalogue, proposant à la vente, à la fois les machines pour les utiliser (qui ont pour nom Le Rubis, Le Tandem, Le Brillant ou L'Aiglon), et aussi un nombre (de plus en plus impressionnant au fil des ans) d'enregistrements de, dirons-nous, détente et culture : grands interprètes d'opéra, enregistrements instrumentaux, chanson populaire et romance, diction (pages de théâtre et de poésie, mais aussi documents historiques).

Le catalogue s'achève sur une curiosité : Bettini propose deux "bronzes" ; l'une des sculptures représente une jeune femme au décolleté imparable, riant en face d'un petit chien qui aboie contre le phonographe en marche. Sachant que ce catalogue fut publié en 1901, on ne peut dire avec certitude s’il s’agit d’une fantastique coïncidence ou si, au contraire, Bettini connaissait l'existence de Nipper, le fox-terrier mort en 1895 (dont nous vous conterons l'histoire un peu plus loin) et qui illustre la célèbre formule commerciale La Voix de son Maître. Le tableau fut peint vers 1889 et proposé à Edison mais, en théorie, ne fut pas montré à autrui.

En 1898 éclate un scandale : en France, la firme Pathé, qui propose sur catalogue des diaphragmes soi-disant équipés du système Bettini vend en réalité des contrefaçons, sans, évidemment, la moindre autorisation de Bettini. Ce dernier réside alors quelques mois en France afin d'y monter, dès 1900, sa propre société, la "Compagnie des Microphonographes Bettini". Dès lors, Bettini commercialisera des produits sur lesquels sera apposée l'étiquette suivante : "Ce produit n'est pas authentique s'il n'est pas accompagné de la signature...." (suivait celle de Bettini lui-même).

En 1903, Bettini obtint une audience auprès du Pape Léon XIII. Grâce à lui, on possédait un témoignage sonore du saint Père décédé quelques temps plus tard. Mais l’affaire connut un tragique concours de circonstances : rentré à Paris et apprenant la nouvelle de la mort du Pape, Bettini entreprend de louer le théâtre des Capucines afin de donner une audition publique de la voix du souverain pontife. Hélas, Bettini assiste à un véritable pugilat devant une salle archi bondée et divisée en deux camps, ceux qui ont pieusement écouté l'enregistrement historique, et ceux qui crient au parjure ou à l’imposture. Rapidement, la police s’en mêle, saisit les cylindres litigieux et les fait détruire. Tous les enregistrements du Pape auraient disparu ce jour-là si son assistant, resté en Italie, n’en avait gardé la moindre copie.

En 1907, la société phonographique du brillant Italien est liquidée et, en 1912, Bettini se tourne vers l’industrie cinématographique.

Effort de guerre oblige : en 1914, il abandonne ses activités civiles pour devenir correspondant du journal Le Gaulois sur le front des combats.

Après une vie bien remplie, Bettini meurt aux Etats-Unis en 1938.

Bettini avait toujours pris grand soin de sa collection d'archives sonores ; hélas, durant la Seconde Guerre mondiale, peu après sa mort, toutes les matrices de son prestigieux catalogue furent détruites lors d'un bombardement de sa maison en France. Depuis, on ne peut trouver que des copies, voire des "copies de copies", dont la qualité et l'état de conservation font craindre le pire à l'éventuel acquéreur.




Emile Berliner

Il est dit qu'en cette fin de 19ème siècle, tous les grands cerveaux (ou, au moins, ceux qui vont participer à l'évolution du gramophone) s'exilent vers l'Amérique. C'est encore le cas d'Emile Berliner. Né à Hanovre en 1851, il travaille d'abord dans une imprimerie, puis dans une fabrique de textile avant de partir pour le nouveau monde. Passager clandestin sur un bateau en partance pour New York, il s'installe ensuite à Washington où il fait merveille... dans le monde de la confiserie ! Il invente en effet un mélange nommé moitié-moitié constitué de chocolat, de café et de mélasse (ce qui fait, au total... trois moitiés !). Il occupe ensuite divers petits boulots tout en étudiant les sciences physiques. En toute logique, il se passionne pour les découvertes de Bell en matière de téléphonie. Lorsqu'on se penche sur l'œuvre de Berliner, on constate qu'il n'a, pour sa part, jamais véritablement inventé, mais qu'il a, en revanche, souvent poursuivi et fait aboutir des recherches précédemment abandonnées.

Financièrement parlant, Berliner n'a pas les moyens de déposer des brevets (ce dont ne se privait pas, au contraire, son concurrent Edison) mais ses recherches étaient cependant protégées. C'est ainsi qu'il put, en 1877, vendre son propre microphone à la compagnie Bell, alors que la Western Union avait acheté le brevet déposé par Edison. Dix ans plus tard, Berliner se penche sur la double question du graphophone et du phonographe. Considérant qu'aucune des deux machines n'est véritablement satisfaisante, il repart du modèle de Phonautographe conçu par Léon Scott de Martinville... en lui appliquant certains principes définis par Charles Cros.

Tandis que la majorité des gens concernés s'engouffrent à fond dans la fabrication à outrance (ce qui, rapidement, donne naissance à un chapelet de procès, chacun piquant plus ou moins l'idée du voisin !), Berliner, perfectionniste (en cela il rejoint Bettini), juge bien sévèrement les pauvres performances des rouleaux en circulation, et songe qu'il y aurait très certainement moyen d'améliorer la reproduction sonore, quitte à totalement changer la forme d'exploitation. Il imagine donc le disque en remplacement du cylindre. Afin de diminuer les parasites et autres craquements, il est nécessaire de diminuer le poids du stylet graveur-reproducteur.

Disque Berliner avec Effigie de l'Ange Graveur, Début 20ème Siécle
Disque Berliner avec Effigie de l'Ange Graveur, Début 20ème Siécle.

Les premiers véritables disques sont en verre (de 5mm d'épaisseur et de 27,5cm de diamètre, pouvant porter un message d'une durée de quatre minutes), puis en zinc et enfin en ébonite enduit de cire. Ils ne sont enregistrés que sur un seul côté, mais ils sont déjà d'un diamètre presque équivalent à celui adopté par la majorité des 78 tours puis des 33 tours (l'autre format usuel des 78 tours étant de 26cm de diamètre, bientôt légèrement réduit à 25cm). Les dimensions, on le voit, sont fort proches du modèle le plus répandu pendant tout le 20ème siècle, qu'il s'agisse du microsillon ou du disque de cire. Et la durée est semblable à celle du 78 tours de la première moitié du 20ème siècle.

Ce disque, Berliner l’avait inventé en 1887, mais n’en voyait alors d’exploitation commerciale que dans le monde du jouet, raison pour laquelle il va légèrement en diminuer les dimensions. Le 8 novembre 1887, Berliner demande des brevets dans les principaux pays industrialisés : U.S.A., Angleterre, France et Allemagne.

L'appareil apparaît sur le marché en 1889 ; il semble aujourd'hui très rudimentaire. Le socle, rectangulaire, est en bois ; le plateau est actionné par une manivelle. Les disques, en ébonite, sont monofaces ; une seule face étant enregistrée, le fabricant utilise l'autre côté pour reproduire une belle illustration (le célèbre ange graveur de la firme Gramophone, par exemple) ou bien les paroles des chansons ou des comptines (au cas où on aurait du mal à les percevoir !); le répertoire compte aussi les hymnes nationaux français, allemand et anglais. Il faudra plusieurs années d'utilisation de ces disques monofaces pour réaliser qu'il est plus intéressant de graver les deux faces.

Simultanément en Allemagne (où il a implanté la première usine au monde de duplication par système de pressage, la fameuse compagnie Deutsche Grammophon Gesellschaft, dans sa ville natale de Hanovre) et aux Etats-Unis, l’appareil-jouet de Berliner remporte un vif succès et, au fil des ans (principalement vers Noël), son créateur en profite pour étoffer son catalogue.

Les caractéristiques techniques évoluent elles aussi : les premiers disques pressés avaient un diamètre de 12,5cm et tournaient à la vitesse de 150 tours à la minute. En 1894, le disque mesure 17,8cm et tourne à 70 tours/minute. Le sillon étant plus serré, la durée de l'enregistrement augmente. Berliner ne cache pas qu'il cherche, avec le disque, à égaler les prouesses du cylindre. Parallèlement, il développe son catalogue dans le but de concurrencer ceux proposés par Edison et par la Columbia. Pour élargir son empire, Berliner met sur le marché les appareils les moins chers. Constatant que l'entraînement par manivelle n'est guère satisfaisant, des appareils à moteur électrique sont disponibles (pour un prix double). Ultime coquetterie d'industriel ! Berliner invente un prototype nommé Multiphone (il s'agit en réalité de six gramophones entraînés par un même moteur).

Le nom de Berliner, curieusement, reviendra au cœur de l’actualité le 11 novembre 1919, date à laquelle s’envole le premier hélicoptère qu’il a construit conjointement avec son fils H.A. Berliner et les frères Wright.

Emile Berliner meurt en 1929.

Le phonotaugraphe, dispositif de Léon Scott de Martinville permettant d’enregistrer du son (sans pouvoir le reproduire) sur un cylindre enduit de noir de fumée
Le phonotaugraphe, dispositif de Léon Scott de Martinville permettant d’enregistrer du son (sans pouvoir le reproduire) sur un cylindre enduit de noir de fumée.